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L'édito de Serge
Serge Siritzki

LES FILMS QUI VALENT LE DÉPLACEMENT

Par Serge Siritzky

Lors du dernier Congrès de la FNCF, Gaël Bruel, le président du CNC, estimait qu’il y avait une évolution structurelle du public du cinéma et qu’il fallait envisager que la fréquentation ne retrouverait pas le plancher de 200 millions de spectateurs par an d’avant-Covid et devait viser les 180 millions de spectateurs par an, soit 10% de moins. Et que, dans ce cas, le cinéma cinéma devrait modifier son modèle économique.

Modifier le modèle économique du cinéma

Mais qu’elle pourrait être cette modification ? D’une manière générale celle-ci pourrait prendre deux formes : baisser de 10% ses coûts ou trouver de nouvelles recettes du même montant. A priori ce ne sont pas des objectifs hors de portée. Néanmoins, à ce jour la baisse de la fréquentation par rapport à l’année dernière est de plus de 13%, ce qui nous amènerait à moins de 160 millions de spectateurs en 2025. Et là, réduire les coûts de 20% ou trouver de nouvelles recettes du même montant semble un objectif peu réaliste. En fait, le cinéma est confronté au même défi qu’il a rencontré à chacune des crises qui ont jalonné sa longue histoire : il doit modifier son offre.

L’offre de salles

La dernière crise a vu ses entrées chuter de 202 millions en 1982 à 116 millions en 1993. LE cinéma a mis 10 ans pour se rendre compte que c’ était un problème d’offre de salles : une part croissante du public préférait voir les films chez lui sur son écran de télévision que sur le petit écran et assis dans le fauteuil inconfortable d’un complexe multisalles. Quand les exploitants ont compris que leurs salles devaient offrir un grand écran, un très bon son et un fauteuil confortable, et, notamment, lancer les multiplexes, la fréquentation a retrouvé ses 200 millions de spectateurs. Cela avait été une profonde modification de son modèle économique. Peut-être les exploitants, dont les salles  vivent avec des séances à 11 spectateurs, doivent-ils réfléchir à un nouveau modèle économique, à l’image de celui entrepris par le commerce de détail.

L’offre de films

Mais l’offre c’est aussi celle des films. Et là on voit que, comme le dit un exploitant, que « le public ne veut plus se déplacer que pour les films qui valent le déplacement ». Ce ne sont pas forcément des films qui font des millions d’entrées, mais aussi des films qui bénéficient d’un excellent bouche à oreille et qui,  sans sortir dans un très grand nombre de salles, finissent par réaliser un excellent score.

Aujourd’hui nous en avons un exemple avec Sirat. Ce film franco-espagnol d’Olivier Laxe a un budget prévisionnel de 6,6 millions €, ce qui est 20% de plus que le budget moyen des films français de fiction. Il avait remporté le prix du jury au Festival de Cannes et bénéficiait de critiques dithyrambiques. Son distributeur français, Pyramide, a donné un minimum garanti de 60 000 € et  l’a sorti que dans 311 salles.

Cinéfinances.info* a fourni les données financières de cet article.

Ce qui ne l’a pas en empécher de rassembler 19 000 entrées le premier jour, 188 000 entrées la première semaine. Il n’a baissé que de 17% la deuxième semaine et de 21% la troisième, avec 122 000 entrées. Or ce film est fait pour être vu en salle de cinéma. Notamment, la bande son y joue un rôle fondamental. Et il est fait pour être vu au milieu d’un public dont chaque spectateur partage les émotions. Or, du fait de l’actuel modèle économique du cinéma français, une grande partie de ses films sont avant tout faits pour être vus à la télévision, parce que les télévisions sont, de loi, sa principale source de financement. Ce sont des téléfilms, mais avec un budget plus élevé.

Les films qui valent le déplacement

En même temps que « Sirat », sortait le film d’une franchise américaine, « Conjuring : l’heure du jugement » qui, la première semaine, a attiré. 1, 108 millions de spectateurs dans 439 salles. Puis comme tous les films d’épouvante à succès, il chuté de 55% la seconde semaine et de 45% la troisième et va largement dépasser les 2 millions d’entrées, très au-dessus des films de la franchise. Le public auquel il s’adresse ne veut pas attendre pour le voir. C’est pourquoi,  en 5 eme semaine « Sirat » sera devant lui.

Cette même semaine est sorti,  aussi un autre film de franchise « Downtowns Abbey III : Le Film », Il a rassemblé 273 000 spectateurs dans 297 salles. Puis il a chuté de 34%, puis de 40%. Donc, en 3 eme semaine « Sirat » était déjà devant lui. Mais on peut dire qu’une partie du public pensait que chacun de ces trois films valaient le déplacement.

Et ce qui est notable c’est que sur les 14 films qui sortaient cette semaine, les 11 autres, alors qu’ils étaient sortis dans autant de salles, n’ont réalisé que 20% des entrées. Certes, cette polarisation des entrées sur quelques films a toujours existé. Mais ce qui est nouveau ce sont les écarts entre ceux qui trouvent leur public et tous les autres.

www.Cinefinances.info est un site, accessible par abonnement, destiné aux professionnels du cinéma.  Il publie budget, le plan de financement et la répartition des recettes prévisionnels de tous les films français qui sortent (hors les films « sauvages » qui ne déposent pas leurs contrats au registre public et ne demandent donc pas l’agrément qui leur permettrait d’accéder à l’aide du CNC). Il s’agit des chiffres de l’agrément d’investissement sur la base duquel le producteur a monté son financement. Il dispose de nombreuses archives et d’un puissant moteur de recherche. Il dispose d’archives des films sortis depuis 2010 et d’un puissant moteur de recherche, avec de multiples critères.

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