Archive d’étiquettes pour : Victor Hadida

La Fédération Nationale des Editeurs de Films a tenu jeudi dernier, au cinéma Panthéon, une très intéressante conférence sur les enjeux et évènements du métier d’éditeur de films, en France, en 2025. Il faut dire que le climat est plutôt à l’optimisme puisque, non seulement la France est le seul pays où, en 2024, la fréquentation n’a pas chuté par rapport à 2023, mais les films français ont enregistré la plus forte fréquentation depuis 2014. Et, au cours des 8 derniers mois de l’année, la fréquentation en France a retrouvé son niveau moyen des années pré-Covid, c’est à dire régulièrement à plus de 200 millions de spectateurs par an.
Comme l’a rappelé le président de la FNEF, Victor Hadida, (Metropolitan filmexport), ce secteur est un acteur essentiel de l’économie du cinéma puisque son engagement pour sortir un film conditionne l’intervention de tous les autres investisseurs : un producteur ne peut commencer à monter le financement d’un film que quand il a l’engagement d’un distributeur, car « Le cinéma c’est un film dans une salle ». En effet, comme l’a rappelé Michèle Halberstad (Arp sélection), il s’agit de convaincre un public de se déplacer pour aller voir cette œuvre dans une salle, face à l’offre quasi illimitée d’œuvres et d’images accessibles à domicile ou sur son portable. Et c’est le rôle du distributeur de trouver les moyens de condition. Notamment, la raison d’être des plate-formes est d’offrir offrent un flot continue d’œuvres. En outre, il est possible d’accéder à un immense catalogue d’œuvres grâce au replay. Mais, dans la réalité, dans le flot continu, une œuvre cesse très vite d’y exister. À tel point que, que comme Michel Halberstadt l’a très pertinemment noté, en général, les grands réalisateurs qui ont réalisé un film pour une plate-forme ne répètent pas l’expérience. Par ce qu’ils se rendent compte que ces oeuvres ont parfois été largement vues, mais n’ont pas « existé ».
Faire exister un film et convaincre le public de se déplacer pour aller le voir suppose un savoir faire qui est le cœur du métier d’éditeur de film. Nathalie Cieutat ( Pathé) et Thierry Lacazes (Studio Canal) nous l’ont démontré à partir de lancement du « Comte de Monte-Cristo » et de « L’amour ouf ! » qui, chacun, ont nécessité 3 ans de travail et entre 2 et 2,5 million € de budget de lancement. A l’heure des réseaux sociaux et de l’IA les éditeurs de films, y compris les petits éditeurs indépendants, sont apparus experts dans l’utilisation de ces deux outils.
En fait, la force du cinéma français, c’est que, dès la création du CNC, puis du Cosip, notre pays a reconnu que l’industrie du cinéma repose sur trois branches : production, distribution et exploitation. C’est pour cela que le cinéma français est de loin le premier en Europe, alors que celui des autres pays, qui ne ne soutiennent que la production, sont loin derrière. Et ce soutien, contrairement à ce qui est souvent affirmé, n’est pas financé par le contribuable, mais par une intelligente redistribution des recettes de la profession elle-même.

En revanche, ce qui est anti-économique est le plafonnement du soutien automatique à la distribution à 1 million d’entrées. Cela revient à infliger une pénalité de 10,7% du chiffre d’affaires au-delà d’1 million d’entrées. Donc à pénaliser le succès et le cinéma populaire. Étant donné que le CNC serait en train de réfléchir avec la profession à des réformes du soutien, il serait souhaitable que cette incongruité soit étudiée.

Pour bien comprendre le défi devant lequel nous nous trouvons je vais vous donner un exemple concernant Metropolitan.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Metropolitan_Filmexport

Nous nous sommes retournés vers nos partenaires américains pour sortir « Greenland » de manière simultanée. Il était daté au mois d’août. Nous avons réussi à les convaincre qu’une ou deux semaines de décalage n’était pas un problème et qu’en France le piratage était extrêmement réprimé. Et, surtout, que le bénéfice d’une sortie anticipé était plus important que d’attendre encore. Nous avons eu la chance d’être écouté et d’avoir pu sortir « Greenland » au tout début du mois d’août.

Il se trouve que pour nos partenaires américains, le film a décalé d’août à septembre, puis, sur fin septembre, puis on ne sait plus.

Donc je conçois la difficulté des studios américains qui, sur leur propre marché, ne peuvent avoir aucune recette. Et qui ont produit un film comme « Greenland », dont le budget est de 60 millions €. Ils se disent nous allons autoriser certains pays à sortir, dans l’espoir de suivre. Si cela ne se fait pas, à terme, il y aura eu une destruction de valeur telle que  notre schéma économique disparaît de lui-même. Se pose alors la question de la pérennité de ce schéma.  Comment investir dans des films coûteux s’ils n’arrivent pas à récupérer la moitié de leur mise ? ce qui est à peu près l’équilibre entre le marché international et le marché domestique américain. Ils ne seront pas dans la capacité d’investir dans d’autres films.

La chance de la France

La solidarité est un bien nécessaire. Sans cela on ne peut  demander des efforts si cet effort crée la disparition de l’acteur économique. De la même manière que l’on ne peut demander aux exploitants de ne pas ouvrir leurs salles pour attirer de la fréquentation sinon c’est la disparition de cet acteur économique.

Nous, en France, nous avons la chance d’avoir une production importante, une économie encadrée, qui permet une très grande diversité de l’offre, qui a permis à ce que, globalement, 40% du marché, qui est la part de marché habituelle du cinéma français, soit le parachute, l’amortisseur de la chute de fréquentation. Sans cela on se retrouverait, comme dans beaucoup de pays, dans l’incapacité d’ouvrir les salles. 

On a  aussi la chance d’avoir un organisme, le CNC, qui est le pendant du gouvernement et qui défend les intérêts sectoriels. Et, à la différence de nombre de nos voisins, le soutien public qui a été apporté dans cette crise a été extrêmement important. Et, peut-être suffisant pour permettre à notre tissu industriel de passer cette période de crise.

Nous devons relever un défi permanent

Mais quelle perspective pouvons-nous offrir à notre secteur alors que nous sommes dans l’incertitude totale ?Je prends un exemple  dans notre activité de distributeur. Nous avons un film daté le 14 octobre, « The Good Criminal », avec Liam Neeson. C’est une production américaine. Dans la nuit je reçois un mail : « nous avons un problème, la plupart des salles américaines ne sont toujours pas ouvertes et nous n’aurons donc pas, aux Etats-Unis, une exposition suffisante. Nous allons décaler le film pour espérer avoir plus de salles disponibles ». Notre première réaction et de répondre : Et nous, que faisons nous ?

Le marché américain est le problème actuel

Donc nous devons relever un défi permanent. Nos partenaires américains sont confrontés à un problème de rentabilité. Et le public américains n’est pas là , non parce qu’il a peur d’aller au cinéma, mais parce qu’il est confiné.

Nous n’avons pas la force de frappe des plates-formes. Et le marché américain est le problème actuel. Tant qu’il ne se redressera pas, nous, comme  distributeur de productions visant un marché international, nous sommes dans l’incapacité de tenir tête aux plates-formes. Même si, tous les distributeurs hors Etats-Unis, sont présents  pour sortir les films sur leur territoire. 

Pour le festival de Toronto, des films achetés par les distributeurs hors Etats-Unis ne trouvaient comme acheteurs pour le marché américain que soit des plateformes de VoD, donc échappant à la salle, soit des plates-formes de S-Vod qui achetaient les droits mondiaux et demandaient aux différents distributeurs nationaux de leur rendre les droits. Donc, si le marché américain ne reprend pas, le problème restera entier.

Et il y a un deuxième phénomène qui nous pénalise beaucoup, c’est la chronologie des médias. On s’est rendu compte que certaines plates-formes voulaient accaparer certains films parce que la chronologie actuelle les obligeait à ne les diffuser que 36 mois après leur sortie en salle.

Maintenant on crie pour avoir cette diversité d’en haut

En France, depuis le début de l’année, il y  a eu 125 films qui sont sortis contre 145 l’année dernière sur la même période. Donc l’offre diversifiée est là. Mais il manque l’autre bout de la diversité : les films les plus populaires en faut. Ces 20 films qui font la différence permettent un rééquilibrage de la fréquentation et du compte d’exploitation.

Avant on criait pour avoir la diversité d’en bas. Maintenant  on crie pour avoir cette diversité d’en haut. 

Que peut-on faire ? Bénéficier du soutien d’un plan qui va soutenir l’activité et, notamment, permettre au secteur de la distribution d’apporter ses films. Assurer les distributeurs qu’en apportant leurs films ils vont pouvoir juste équilibrer pour que l’ensemble de la chaîne puisse continuer à être irriguée en films nationaux ou internationaux. Il faut que l’a diversité soit entendue : que l’on soutienne les petits, les moyens et les grands. Parce qu’aujourd’hui les grands sont dans la même position que nous. Ils disent : je ne veux pas perdre ou être avalé par une plate-forme.

Les propositions

On propose différentes mesures pour répondre au choc de l’offre : élargir le soutien aux structures, maintenir, voir élargir le soutien automatique aux sorties de films. Et que  l’on instaure pour les distributeurs un crédit d’impôt aux frais d’édition, pour diminuer le point mort de sortie des films, dont pour que le risque soit soutenable. Y compris pour les films et les distributeurs étrangers puisque, tout le monde est d’accord, c’est là où le bas blesse. 

Et n’oublions pas que nous sommes des nains par rapport aux plates-formes. Même les gros parmi nous sont des nains. L’enjeu pour nous nous est clair : comment permettre une offre suffisante pour que les salles retrouvent leur rentabilité. Et il faut donc créer un cercle vertueux.