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L’inauguration du backlot d’un hectare et demi des Rues de Paris, première phase des 30 hectares de TSF Studios 77, en Seine et Marne, à 49 km de la capitale, est une grande étape de  l’histoire du cinéma et de l’audiovisuel français. Ces studios sont l’un des 5 premiers lauréats de la Grande fabrique de l’image, lancée par le CNC,  dans le cadre de Plan pour la ré-industrialisation de la France d’ici 2030.Par ce plan le CNC suivait les recommandations de mon rapport  « Les studios de tournage, enjeu primordial de la production en France » paru le 14 mai 2019.

Or, ce qui était à l’origine de ce rapport c’est ma constatation que le tournage d’un Blockbuster américain,  sensé se passer en grande partie à Paris, avait été tourné essentiellement dans des studios britanniques, et très accessoirement à Paris. Marc Tessier, le président de Film France qui, à cette époque, était chargé de promouvoir les tournages en France, avait accepté de me confier la recherche des causes de cet incroyable paradoxe et de proposer des remèdes.

Il m’était très vite apparu que la cause en était l’inadéquation totale de tous nos studios aux besoins de la nouvelle production pour le cinéma, mais aussi des séries de fiction qui s’apprêtaient à devenir le programme phare de la télévision. Au point qu’en France les studios fermaient les uns après les autres alors qu’à l’étranger, et notamment au Royaume-Uni, l’équivalent de centaines de millions € étaient investis chaque année dans l’extension et la création de studios correspondant aux besoins croissants.

En outre, alors que notre « ville lumière » était l’un des cadres les plus  rêvés de très nombreux films et séries projetés, il devenait de plus en plus difficile et coûteux d’y tourner. C’était un nouvel exemple de la capacité de la France à correspondre à la formule : vous leur donner le Sahara et, deux ans après, ils importante du sable.

Donc, le choix de Thierry de Segonzac, le propriétaire de TSF, de commencer par ce backlot des rues de Paris est la preuve que, en France, dans ce secteur,  il y a des chefs d’entreprise qui savent comment tirer partout des atouts de notre pays.Il a créé une ville lumière pour le cinéma.

Profitions en pour rappeler que la France est un pays où les salariés ne sont pas payés plus, et parfois le sont moins, que chez nos grands voisins anglo-saxons ou d’Europe du nord, alors qu’ils coûtent plus cher à nos employeurs. C’est dû â nos lourdes charges sociales qui sont une taxe sur l’emploi et un frein à la compétitivité de nos entreprises. Heureusement, l’État a compensé ce handicap par le crédit d’impôt. Espérons que la nécessaire rigueur budgétaire n’entrainera pas l’État à réduire cette compensation.

Enfin, il y a un domaine essentiel pour tirer partie du développement de la fabrication d’images. C’est le formation des compétences. Il y a en France d’excellentes écoles publiques et privées, de qualité mondialement reconnues. Mais elles forment surtout des chefs de poste. Il est indispensable de développer la formation de techniciens et d’artisans. Ce sous-développement des formations techniques et artisanales est d’ailleurs une des faiblesses de l’ensemble de notre économie.

L’annonce, au Festival de Cannes, par la ministre de la Culture, du lancement de La Grande fabrique des images, marque un double tournant pour la France. https://www.cnc.fr/professionnels/actualites/france-2030–68-laureats-de-lappel-a-projets–la-grande-fabrique-de-limage_1957382

Tout d’abord, ce projet fait partie du plan France 2030, par lequel notre État se fixe des objectifs de développement économique. Il reconnait enfin que, même dans une économie de marché, son action doit s’inscrire  dans une stratégie de développement à long terme.

En second lieu, il a pris conscience que l’industrie de l’image -cinéma, audiovisuel et jeux vidéo-est un des secteurs au plus fort potentiel de croissance et de création d’emplois.

Il va donc soutenir à hauteur de 350 millions € 68 projets sélectionnés de studios de tournage et de formations.

En fait, pour ce qui est de l’industrie de l’image, tout est parti d’une série d’évènements de 2018, très significatifs des maux dont souffre la France : la profession cinématographique de notre pays se mobilisait parce que les studios de Bry-sur-Marne menaçaient de fermer parce que déficitaires. En fait, la plupart des studios de tournage français avaient du mal à joindre les deux bouts. Et l’idée selon laquelle ils étaient condamnés à disparaitre était largement répandus.

Au même moment, un article du Financial times annonçait que les Studios de Pinewood, près de Londres, allaient investir 650 millions dans de nouveaux studios. Or, les studios de Pinewood possédaient 39 000 m2 de plateaux et il y avait 4 studios en Angleterre totalisant 100 000 m2 alors que les studios français n’en totalisaient qu’à peine 30 000 m2. Et les studios en Allemagne s’étendaient sur 80 000 m2.

Bien plus, les américains venaient de tourner  » Mission impossible -Fallout-en France « . Mais, comme tous les blockbusters américains, une partie avait été tournée en studio. Or, comme il n’y avait pas en France de studio répondant aux besoins du film, cette partie avait été tournée en Angleterre. Et donc, pour un film se passant en France, les dépenses au Royaume-Uni étaient supérieures celles dans l’hexagone. Marc Tessier, qui dirigeait Film France, l’organisme chargé d’attirer les tournages étrangers en France, m’en avait parlé.

Je lui ai alors proposé de réaliser une étude pour comprendre ce paradoxe des studios de tournage français. Il a réussi le faire cofinancer par le CNC que le sujet ne semblait pourtant pas intéresser.

Après plusieurs mois d’enquête en France et à l’étranger j’ai découvert que nos studios étaient déficitaires parce que  nullement adaptés aux besoins des productions modernes. Et que cette situation, qui allait s’aggraver,  avait être un terrible un frein au développement de notre production cinématographique et, surtout, au prometteur besoin de production de séries. Bien plus, la France était l’un des pays les plus recherchés par les producteurs étrangers par la qualité de ses décors et de ses techniciens. Mais le sous-développement de ses studios de tournage constituait un véritable obstacle à nombre de tournages en France.

Dans mon étude intitulée « Les studios de tournage, un enjeu primordial de la production en France » j’expliquais comment s’y prendre pour combler cette lacune. https://www.cnc.fr/professionnels/etudes-et-rapports/rapport/les-studios-de-tournage-un-enjeu-primordial-pour-la-production-en-france_990068

Le Royaume-Uni n’était d’ailleurs pas le seul pays disposant de studios de tournage compétitifs. On en trouvait aussi de bien plus grands qu’en France en Allemagne, en Tchécoslovaquie ou en Hongrie. Alors qu’en France le plus grand plateau avait 2 000 m2 ils en possédaient de 3 000, 4000 et même de 7000 m2. La surface de leur backlot, pour y construire des décors en extérieur, était souvent supérieure à celle de leurs plateaux couverts, alors qu’il n’en existait pratiquement aucun en France. Ils disposaient de vastes et profonds bassins pour les tournages sous l’eau. Et les studios étaient de véritables usines, avec des dizaines de prestataires qui, en louant leurs locaux, représentaient une source de revenu importante pour les studios : prestataires de construction et de stockage de décors, de stockage de matériel, de fabrique et de stockage de costumes ou d’accessoires, de salles de montage et d’enregistrement, etc…

Bien entendu, une fois la France dotée de studios performants, il faudra des directeurs de production ayant l ‘expérience de l’optimisation de l’utilisation de ces formidables et complexes outils, afin de réduire au maximum les jours de tournages et diminuer les coûts de tournage.

En tout cas, visiblement, quelqu’un en haut lieu a lu cette étude, a été convaincu et a inclus mes propositions dans le plan pour l’industrialisation de la France d’ici 2030.

Dans mon étude j’insistais bien entendu sur la nécessité de développer la formation de techniciens, notamment dans les nouvelles technologies, car les besoins allaient exploser.

Il se trouve que notre sponsor, l’ESRA, la plus grande école de cinéma en France (elle à un établissement à Paris, à Nice/Cannes et à Rennes) fait partie des 34 sélectionnés pour la formation. Son communiqué met l’accent sur l’importance de ces nouvelles formations.

« 🎥 Le projet du Groupe ESRA, dont la vocation est la formation aux métiers du cinéma, de l’audiovisuel, du son et du film d’animation a retenu l’attention du jury par son objectif de créer ou étendre de nombreuses formations initiales et professionnelles – dans les secteurs audiovisuels et cinématographiques, mais aussi des VFX, de l’animation et du jeu vidéo. Les nouvelles technologies seront à l’honneur ainsi que les pratiques éco-responsables et l’inclusion des publics empêchés. »

ET AUSSI POUR LES EFFETS SPÉCIAUX ET LES JEUX VIDÉOS

La production cinématographique et audiovisuelle est, sans le moindre doute, l’un des  principaux moteurs de l’économie d’aujourd’hui et des années à venir. Donc de création d’emplois et de valeur.https://siritz.com/le-carrefour/les-grands-defis-economiques-du-cinema/

On peut espérer que, quand les salles de cinéma ré-ouvriront la fréquentation y retrouvera ses niveaux d’avant pandémie parce que c’est le premier des loisirs collectifs et culturels. Mais, surtout, que la croissance de la production de séries de fiction va fortement s’accélérer. Or, déjà, en 2019, HBO, qui répertorie tous les projets de tournage dans le monde, avait calculé que ceux-ci nécessitaient 2 000 plateaux de tournage alors que n’en existaient que 1 000 dans l’ensemble du monde.

Or, en ce qui concerne les studios de tournage la France est parmi les très mauvais élèves. Quel que soit le critère retenu : taille de chaque studio, taille des plateaux, le nombre de plateaux, la hauteur des plateaux, la taille des backlots extérieurs qui doivent être aussi importante que celle des studios intérieurs, les surfaces annexes,  la palette de prestataires, etc… A tel point que, quand un blockbuster américain est tourné en France, parce que notre pays a beaucoup d’atouts (Paris, la Côte d’Azur, ses châteaux, la productivité et la compétence de son personnel technique, etc..), son tournage en studio se fait systématiquement à Londres. Pour ce qui est des productions françaises de 20 à 30 millions € de budget, elles vont tourner systématiquement dans les studios allemands ou tchèques. Que d’emplois et de taxes perdus !

C’est pourquoi en 2018 Film France et le CNC avaient commandé une étude pour faire le point sur notre considérable retard. Et  déterminer les lourds handicaps que cela allait de plus en plus représenter pour notre en production. Mais aussi pour analyser les causes de ce retard et proposer des remèdes. « Les studios de tournage, enjeu principal de la production en France » a été remis en mars 2019. https://www.cnc.fr/professionnels/actualites/le-cnc-devoile-un-rapport-sur-les-studios-de-tournages-et-annonce-le-lancement-dune-concertation-sur-leur-modernisation_990873

Or, il faut reconnaître que le CNC a pris conscience que l’enjeu était effectivement essentiel pour la production dans notre pays. Notamment que le recours à la plupart des effets spéciaux suppose le tournage en studio. De plus les tournages en ville vont devenir de plus en plus problématiques et coûteux du fait des réglementations municipales pour faciliter la circulation. Et l’économie des séries repose largement sur l’usage de décors récurrents.

Il vient donc d’appeler à un « choc de modernisation » en créant une commission qui sera chargée de soutenir des projets ambitieux nous permettant de rattraper notre retard en matière de studios de tournages. Mais aussi dans le domaine tout à fait complémentaire des effets spéciaux ainsi.  Et dans celui des jeux vidéo qui sont liés aux effets spéciaux. https://www.cnc.fr/professionnels/communiques-de-presse/le-cnc-appelle-a-un-choc-de-modernisation-de-lappareil-de-production-et-soutient-les-projets-ambitieux-a-hauteur-de-10m_1393649

10 millions € seront ainsi distribuées, l’aide à chaque projet étant plafonnée à 800 000 €. Mais elle pourra être complétée par un volume de soutien plus important sous forme d’investissement de la Banque publique d’investissement et des prêts garantis par l’IFCIC. L’objectif semble d’éviter le saupoudrage pour promouvoir de véritables champions français compétitifs au niveau international. Un appel d’offre a été lancé et les dossiers sont attendus.

Jusqu’à présent le CNC avait une direction technique. Mais elle n’avait qu’un rôle et des moyens limités par rapport aux autres directions du cinéma et de l’audiovisuel. Désormais il est enfin clairement reconnu que ces deux secteurs sont de véritables industries qui ont besoin d’outils de fabrications compétitifs. Dans un pays victime de sa sous-industrialisation c’est un tournant important.