Pourquoi avez-vous écrit ce livre sur l’histoire de votre famille ?
Serge Siritzky : Parce que je pense qu’elle est doublement exemplaire. Tout d’abord c’est l’histoire d’une famille qui, au cours du siècle dernier, pour sauver sa vie parce qu’elle était juive, a dû, trois fois de suite fuir le pays où elle était établie pour se réfugier dans un pays dont elle ne parlait même pas la langue. Elle s’y est lancé dans le cinéma et, à chaque fois, y a réussi en révolutionnant le métier.
Ensuite, c’est une approche nouvelle de l’histoire du cinéma. On l’a raconté à travers la vie des réalisateurs, des comédiens ou des producteurs. Rarement à travers celle des exploitants de salle de cinéma. Or, jusque dans les années 60, le cinéma fonctionnait comme le théâtre : un film sortait dans une salle d’exclusivité. Il y restait des semaines ou des mois avant d’être présenté dans d’autres salles. Le propriétaire de la salle d’exclusivité jouait donc un rôle essentiel dans le choix des films qui sortaient et leur promotion. Or Lėon Siritzky et ses fils étaient des exploitants de salles d’exclusivité et ils ont joué un rôle déterminant et génaralement méconnu dans les histoires du cinéma mondial.
A quoi correspond le titre : « Le cinéma était leur pays » ?
Serge Siritzky : Comme je vous l’ai dit, ils ont dû fuir de pays en pays. Mais où qu’ils étaient, ils sont restés dans le cinéma et, petit à petit, ils ont fini par être connus par les professionnels du cinéma du monde entier, cette profession étant un vaste pays.
Que signifie la photo de couverture ?
C’est celle de mon grand-père quand il était exploitant de salles de cinéma à Constantinople et de mon père qui devait avoir 7ou 8 ans. Mon grand-père portait le fez ce qui montre qu’il pensait être devenu turc. Cela illustre en fait qu’ils ont vécu dans plusieurs pays mais sont toujours restés dans le cinéma.
Votre grand-père, Léon, votre père Samy et votre oncle Jo devaient surtout connaître les producteurs ou les distributeurs mais pas les réalisateurs.
Serge Siritzky : Pas du tout. Comme on peut le découvrir dans mon livre, Léon était très ami avec les frères Chaplin, Pagnol, Renoir ou Korda. Plusieurs d’entre eux parlent de lui dans leurs mémoires. Par exemple, on y voit pourquoi, sur les tournages, on appelait Léon « le sorcier ». Quant à Samy et Jo ils ont aussi été de grands producteurs et distributeurs. Ils ont produit des films de Claude Berri, Jean-Luc Godard, François Truffaut ou Bertrand Tavernier.
Vous racontez comment ils ont lancé la Nouvelle vague.
Oui. Dans les années 50, leurs salles ne pouvaient concurrencer celles de Gaumont, Pathé et UGC pour jouer les gros films de grands metteurs en scène et avec des stars. Mais ils ont découvert et joué des films de tout jeunes metteurs en scènes et avec des acteurs inconnus, des films à petit budget, tournés rapidement en décors naturel et qui ont tout de suite été d’énormes succès. Mais, au départ personne ne savait que cela allait être une vague. C’est François Giroud qui, la première, s’en est rendu compte et a parlé de Nouvelle vague.
Un des points forts de votre récit c’est la spoliation de votre famille par l’État français à la Libération.
Serge Siritzky : Oui. Pendant l’occupation ma famille a réussi à se réfugier aux États-Unis. Son circuit de salles qui était l’un des plus importants en France est tombé dans les mains de nazis. Quand mon grand-père est revenu en France, en 1946, pour récupérer son bien, afin de ne pas le lui rendre, et le conserver comme entreprise publique, l’État l’a accusé et fait condamner à la prison pour collaboration et profit illicite avec les nazis. Son circuit constituait la plus grande partie de ce qui s’appelait désormais l’UGC. Il s’est enfui aux États-Unis. En 1950 Samy et Jo sont revenus en France où ils sont repartis de zéro.
Votre famille a toujours dit que cette accusation était mensongère et que, donc, il s’agissait de spoliation.
Serge Siritzky : Oui. Mais mon livre en apporte pour la première fois la preuve officielle. Il s’était agi d’un complot de très hauts fonctionnaires et magistrats, dont certains, comme on le voit dans leurs écrits, clairement mus par l’antisémitisme. Je fournis toutes les preuves écrites et je donne les noms qui vont faire du bruit. Un organisme juridictionnel officiel vient de qualifier cette spoliation de « Crime d’État ». J’avais même pensé titrer mon livre par ces deux mots.
Pourquoi ne pas l’avoir fait ?
Serge Siritzky : Parce que ce n’est qu’un épisode de l’histoire de ma famille. Une famille qui a fui les pogromes en Russie, la guerre civile et les massacres en Turquie et les nazis en France. La condamnation de mon grand-père et la spoliation des Siritzky est une ignominie de la justice française et de notre République. Mais en 1948 les Siritzky n’ont pas risqué leur vie.
Vous arrêtez votre récit à votre oncle Jo. Or vous avez été PDG de Parafrance après lui et vous ne parlez pas de cette période.
Serge Siritzky : Effectivement. Dans un premier jet j’avais parlé de cette période. Mais quelqu’un m’a fait remarquer que le sujet de mon livre c’est l’histoire d’une famille de perpétuels immigrés, qui ont commencé par devoir fuir la Russie et qui ont plusieurs fois risqué leur vie et tout perdu. Moi, je suis né aux États-Unis, ma vie a toujours été facile, j’ai fait Sciences Po et l’ENA. La plus grande partie de ma carrière je l’ai passé comme propriétaire de magazines. Ça n’est pas la même histoire.
Mais ce que vous avez vécu dans le cinéma ne présentait aucun intérêt ?
Serge Siritzky : Disons que cela relèverait plutôt du roman policier. Par exemple, j’ai été personnellement, témoin et victime d’une corruption au sein de l’État. Mais, à la différence de la spoliation de ma famille, j’en ai été témoin, mais je n’en ai pas la preuve écrite et je pourrais être attaqué et condamné pour diffamation si j’en parlais. Un ami avocat m’a conseillé de raconter cette histoire sous forme de roman à clef. Mais je n’ai pas le talent d’un romancier.