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MINI-SÉRIE DE DOMINIQUE BARON* (Scénariste-producteur-réalisateur présenté en fin d’article)

Aujourd’hui, la presse se focalise sur le mot US “showrunner“ qui s’impose logiquement dans le monde des séries et collections (88% de la fiction). Dans les succès sur plusieurs saisons, un vrai showrunner aguerri assure la continuité éditoriale et artistique. Il doit être un scénariste émérite qui sait guider les autres scénaristes, il doit connaitre assez la mise en scène artistique et technique pour partager avec les réalisateurs afin de passer les scénarios de la 2D à la 3D. Et il doit être un “producer“ qui sait gérer un budget et anticiper les nombreux aléas artistiques et techniques. Jusqu’ici, tout va bien… https://siritz.com/editorial/le-mythe-du-realisateur-auteur-revision/

Un métier qui peine à émerger en France

Mais cette fonction d’avenir, essentielle en séries, ne s’improvise pas. En France, les showrunners de ce niveau sont encore rares et retardés par une vague émergente de diplômés du marketing (“money-making“ ?) qui aiment tout contrôler. Par inexpérience ou souci de territoire, certains surfeurs de cette vague ne voient le scénariste que comme un scribe, et le réalisateur télé comme un simple technicien qui sait placer ses caméras et terminer à l’heure. Et le problème de nombreuses séries est aussi que, pour se rassurer, des commanditaires abondent trop d’avis, mettent trop de scénaristes en siège éjectable, et cela engendre trop de versions non coordonnées par un showrunner d’envergure.

Ce « nouveau monde des soft-killers de l’audiovisuel » (dixit Martin Scorcese) étouffe en coulisses les scénaristes, et en plateau les réalisateurs. Or il est essentiel que le scénariste soit le premier consulté si, par exemple, le producteur veut imposer au réalisateur l’économie de remplacer un autocar qui pulvérise une voiture par un vélo qui tape une poussette, ou de couper une scène en plateau pour éviter une heure supplémentaire. De même qu’il est injuste pour le scénariste qu’un acteur, pour s’approprier une série, réécrive seul les dialogues dans son dos, une tendance en expansion. https://www.lesinrocks.com/2021/02/26/series/series/en-therapie-pourquoi-les-scenaristes-renoncent-a-la-saison-2/

Autre tendance émergeante : le diffuseur et le producteur vont chercher un cinéaste connu pour se rassurer et renforcer la communication génératrice d’audience. C’est une bonne idée, ça cartonne dans la presse mais en télévision le cinéaste, aussi talentueux soit-il, ne doit pas débarquer comme un empereur. Car il y a une règle d’or : le partage. En fiction intelligente, il est vital que les choix créatifs se fassent dans l’alliance d’une brigade de mousquetaires garants de la cohérence d’une série, œuvre collective. D’où la nécessité d’un showrunning expérimenté et respectueux des terres de chacun.

D’où viennent les éternelles chamailleries de territoires ? Flash-back :

Le débat entre auteurs et metteurs en scène est né dans le théâtre des années 30. Louis Jouvet, Charles Dullin, Georges Pitoëff, ont mis en scène des pièces en initiant une vision d’auteurs associés, contournant ce qu’ils appelaient le « textocentrisme » des ardents défenseurs de la moindre virgule, comme Marcel Achard, qui doit pourtant sa notoriété à Louis Jouvet qui triompha en 1929 comme metteur en scène et acteur dans la création de Jean de la Lune, avec Michel Simon. Dans les années 30-40, puis 50-60, les metteurs en scène de théâtre se glissent donc avec talent dans la dramaturgie. Mais les auteurs de l’écrit n’aiment pas voir bouger des scènes ou des dialogues, même s’ils découvrent que la mise en scène ennoblit leur texte et peut lui offrir sa renommée.

En 1955, après un litige sur un projet, l’illustre Jean Vilar fait un croc-en-jambe à Marcel Achard : « Aujourd’hui, les vrais créateurs dramatiques ne sont pas les auteurs mais les metteurs en scène. » Marcel Achard, aussi scénariste au cinéma, se sert de sa présidence du jury de Cannes 1959 pour se venger en médiatisant ses batailles avec Jean Vilar et Marc Allégret (pourtant 9 films ensemble) et leurs tensions sur le statut d’auteur. Il  déclare froidement en conférence de presse sur la Croisette :


Les scénaristes sont les seuls auteurs des films ! Faisons-en sorte que cela se sache partout. »

Le Marcel acharné n’avait pas digéré la loi Guy Mollet de propriété intellectuelle, qui sanctuarisa en 1957 l’évidence que les metteurs en scène de théâtre, les réalisateurs de films et les compositeurs de musique sont aussi des auteurs incontestables. Mais la phrase cinglante de Marcel Achard à Cannes, encore présente aujourd’hui dans l’esprit de certains auteurs rebiffés, va se retourner contre lui…

Le roi du boulevard et les “textocentrés“ vont se prendre un uppercut avec la Nouvelle Vague.

Les critiques des Cahiers du Cinéma, enfants des “trente glorieuses“, secouent le 7ème art. Ils passent derrière la caméra et imposent l’idée, en écrivant eux-mêmes, que le réalisateur est le seul auteur.

François Truffaut dans les Cahiers du Cinéma « Ali Baba de Jacques Becker eut-il été raté que je l’eusse quand même défendu en vertu de la Politique des Auteurs que mes congénères en critique et moi-même pratiquons ».

La déferlante « Un film de… » séduit festivals et journalistes qui enterrent dès lors le “scénariste non réalisateur“ dans les dossiers de presse et les interviews, et l’oublient dans les projections « en présence de l’équipe du film », qui se font trop souvent sans lui…

Pourtant le scénario est essentiel, c’est lui qui permet d’obtenir les subventions du CNC et l’argent des diffuseurs et des plateformes mondiales à la Netflix, la 2ème nouvelle vague (déferlante ?). Et de plus, le scénario dialogué est primordial pour convaincre les acteurs célèbres, sans qui rien ne se fait.

Aujourd’hui encore, certains journalistes et critiques éminents restent myopes et convaincus que le réalisateur de cinéma, même s’il n’écrit pas un mot, est le seul auteur du film ! Ils devraient aller en thérapie pour sortir du 20ème siècle et respecter les scénaristes, tout en levant un œil sur de belles fictions de télévision réalisées sans “cinéastes“ par de talentueux réalisateurs ignorés, et absents comme les scénaristes, des interviews sur tapis rouge…

(à suivre le 4 mars l’épisode 2 : Y-a-t-il encore un réalisateur dans l’avions ?)

 

DOMINIQUE BARON*

 

 

 

 

 

 

 

Diplômé de sociologie et de marketing, DB a démarré loin de tout ça comme caméraman sur le Pen-Duick 6 de Tabarly. Après quelques films sportifs, il se met à écrire puis s’engage par passion des acteurs dans une décennie de 1er Assistant terminée auprès de Jacques Doillon. Le destin le nomme conseiller de programmes sur FTV, puis producteur artistique chez Hamster Productions, avant d’accéder enfin à la réalisation. Une trentaine de téléfilms et séries suivront, les derniers 90’ étant “Tempêtes » (un équipage de sauvetage en mer avec Philippe Torreton), et “Colombine“ (une religieuse africaine, un peu Calamity Jane avec Corinne Masiero)…

Il enseigne aussi l’écriture et la réalisation à l’ISIS de Ouagadougou et aide des écoles du Burkina dans une association.