IL S’AGIT D’UN CHOIX DE SOCIÉTÉ
Dans « Le Monde » paru vendredi Michel Guerrin pose une question fondamentale pour l’avenir du cinéma : « On peut se demander si le combat français des salles n’est pas celui d’un village gaulois ». https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/10/29/on-peut-se-demander-si-le-combat-francais-pour-preserver-la-salle-des-plates-formes-n-est-pas-celui-d-un-village-gaulois_6100287_3232.html
Il s’agit bien entendu du combat des exploitants et des distributeurs contre Netflix. Cette fois-ci à propos du Festival de films Netflix que la plateforme veut présenter en salle juste avant de le faire sur sa plateforme. Toutes les salles françaises ont refusé de présenter ces films, mais pas la Cinémathèque française ni le Festival Lumière.
Il y a peu Netflix prônait la diffusion sur sa plateforme en même temps qu’en salle. Tous les exploitants du monde y étaient opposés en vertu du respect de la nécessaire chronologie des médias. Celle-ci repose sur le simple bon sens : le média le plus cher par spectateur passe avant celui qui est moins cher. C’est évident pour le livre : si on vendait le livre de poche en même temps que l’édition brochée le chiffre d’affaires des libraires et des éditeurs s’effondrerait et s’en serait fini de l’industrie du livre. C’est aussi évident pour les autres médias culturels.
Les dirigeants de Netflix se sont rendu compte non seulement que leur position était excessive mais que la sortie en salle de cinéma était essentielle pour bâtir la notoriété d’un film, notamment en étant présenté dans de grands festivals. Ils ne visent plus la diffusion simultanée mais une forte réduction de la priorité de diffusion accordée à la salle : 45 jours, 30 jours, voire 15 jours. Ou uniquement dans un grand festival habituellement réservé aux films de cinéma.
Cette réduction de la fenêtre de diffusion réservée aux salles est évidemment une atteinte à l’équilibre économique des salles et des distributeurs.
Mais, c’est aussi une remise en cause de notre vie sociale qui repose sur la sortie pour aller au restaurant, se distraire ou se cultiver. Les plateformes ont marqué un point avec le confinement et la fermeture obligée des salles de cinéma. Mais il est clair que l’enjeu est capital et dépasse celui de l’économie.
Ce qui est grave c’est que des studios américains-Disney et Warner- qui sont les principaux investisseurs dans les films de cinéma n’ont pas hésité à mettre en cause la sacro-sainte chronologie des médias, parfois même en sautant le sortie en salle, en tout cas en réduisant fortement le fenêtre réservée à celle-ci. https://siritz.com/editorial/scarlett-johansson-pour-la-salle/
Très grave aussi est le fait que Netflix, qui ne fait nullement partie de l’industrie du cinéma, n’a pas hésité à surpayer de grands talents du cinéma français et international-comédiens et réalisateurs-pour s’en assurer l’exclusivité sur son réseau (Jane Campion, Martin Scorcese, Jean-Pierre Jeunet, Dany Boon, Omar Sy, etc…). Pour la plateforme ce n’est en fait qu’un investissement dans son budget promotion. Pour le cinéma ce sont des pertes sèches de recettes.
Cela s’ajoute au fait que de nombreux talents (réalisateurs, scénariste, comédiens, producteurs) sont attirés vers les séries où certains s’épanouissent encore plus qu’à l’occasion d’un film.
Mais quand le village gaulois se sera rendu, il ne restera plus qu’une société confinée dans laquelle nos choix seront gouvernés par les algorithmes des plateformes. Nous seront passés dans une autre civilisation.