Il ne faut plus se raconter d’histoire. Sauf changement structurel majeur la fréquentation cinématographique en France ne retrouvera pas ses niveaux d’au moins 200 millions de spectateurs d’avant la crise du Covid. Il est temps de se demander comment s’adapter à cette nouvelle réalité. Est-ce que notre parc de salle peut se contenter d’un chiffre d’affaires annuel d’au moins 10% de moins que celui pour lequel il a été construit ? Peut-on, doit-on, encore produire 350 à 400 films français par an dont 250 entièrement financés en France? Combien parmi les 140 entreprises de distribution pourront-elles survivre.
Au 1er trimestre de 2023, avec 48 millions de spectateurs, la fréquentation on pouvait espérer que la fréquentation était en passe de bientôt retrouver l’étiage des premiers trimestre d’avant Covid. Mais l’année n’a terminé qu’avec 180 millions de spectateurs. 2024 avait mal commencé, avec seulement 13 millions au premier trimestre. Mais les 10 millions de spectateurs de « Un p’tit truc en plus » et de « Le comte de Monte-Christo » pouvaient laisser penser que cette mauvaise passe était terminée. Mais, malgré de gros scores aux fêtes de Noël, de nouveau la fréquentation dépassait à peine les 180 millions d’entrées. Et le premier trimestre de 2025 est catastrophique, avec à peine 41millions d’entrées, contre plus de 48 millions en 2023 et plus de 43 en 2024. Alors qu’avant le Covid les premiers trimestre dépassaient les 60 millions d’entrées.
Et, cette semaine, même si les entrées de « Minecraft », lui assure de devenir un nouveau blockbuster américain, celles de «Natacha (presque) hôtesse de l’air » (plus de 15 millions € de budget) et de « Le routard » (plus de 14 millions € de budget) sont très décevantes.
Certes, il y aura probablement un ou plusieurs films qui pourront atteindre les 10, et pourquoi pas les 20 millions de spectateurs. Le cinéma est une industrie de prototype, avec quelques exploits et une multitude d’échecs. C’est déjà arrivé. Mais trois ans de suite de recul de plus de 10% par rapport à l’avant Covid semble bien le nouvel étiage.
La cause principale de cette évolution tient au recul du cinéma américain. Avant la crise, il réalisait jusqu’à 55% des entrées. Il ne se situe plus qu’à 40%. Tout simplement parce que les majors ont dû diminuer les investissements dans les films de cinéma pour investir dans leurs plates-formes afin qu’elles aient une chance face à Netflix et Amazon. En outre, une partie des talents du cinéma est mobilisée pour les séries. Enfin, notons que Disney a presqu’épuisé l’adaptation du catalogue Marvel pour le cinéma.
En fait, en France, en 2024, ce recul des films américains a été en partie compensé par la progression des films français, non seulement en part de marché mais aussi en nombre d’entrées cumulées. C’est peut-être dû au fait que les principaux producteurs et distributeurs français non seulement n’ont pas à investir dans des plate-formes alors qu’ils ont réussi à être des champions européens de la production de séries internationales, ce qui augmente leurs capacités d’investissement, y compris dans le cinéma. Et qu’un grand nombre de talents créatifs sont désormais profilés pour des projets commerciaux à potentiel international.
Mais l’évolution de l’industrie n’est pas la seule explication. La crise du Covid, qui a boosté les plates-formes comme les réseaux sociaux, à modifié le comportement du public. Il ne veut plus « aller au cinéma pour aller au cinéma » mais parce qu’il pense que voir tel film en vaut vraiment la peine. Il a tant d’autres loisirs à sa disposition. Et, avec les réseaux sociaux, le bouche â oreille a un impact accru. Grâce à eux une poignée de films décollent, quelques uns se maintiennent, la plupart sombrent.
La question est de savoir si chaque entreprise trouvera le moyen de s’adapter à cette évolution du marché ou si celle-ci ne doit pas être pour la profession et les pouvoirs publics l’occasion d’une profonde réflexion sur la régulation du secteur. En 1993 les exploitants avaient répondu à 10 ans de chute de la fréquentation par une solution de bon sens : la disparition des complexes et l’avènement des multiplexes. Cette fois-ci la solution est moins évidente : les multiples causes et effets de l’évolution du marché devraient conduire à de multiples réponses.
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Les insuccès spectaculaires du cinéma mondial, après des décennies de succès, sont le signe que le secteur est arrivé au bout d’un cycle et que le public veut autre chose. Mais quoi ?
Une hypothèse de cette soudaine évolution pourrait être liée au même phénomène que le populisme en politique : les électeurs remettent en cause leurs élites qui n’ont pas su résoudre les multiples problèmes de leur société. Et ils sont près à voter pour n’importe qui leur proposant « autre chose », même, si cet autre chose apparait irrationnel. C’est le phénomène du populisme.
En ce qui concerne le cinéma, à la différence des autres arts, c’est, par nature, un art populaire qui doit s’adresser à un vaste public, tout simplement parce que c’est un art cher. Donc, si les spectateurs n’englobent pas tous les citoyens, ils en représentent forcément une part substantielle.
Or, les spectateurs de cinéma, qui sont aussi des citoyens confrontés aux difficultés et aux menaces de notre époque, veulent, soit que que le cinéma les en distrait en leur proposant « autre chose », soit qu’il leur permette de la comprendre.
Aujourd’hui, ils en sont peut-être venus à estimer, à priori, que les « élites » du cinéma,-les comédiens et réalisateurs stars- ne leur apportent plus cet autre chose. Ils leurs en veulent même de se contenter de leur apporter toujours la même chose. Ces stars, qui étaient un atout pour le succès des films , deviennent ainsi presqu’un handicap, sauf si les spectateurs ont le sentiment que cette nouvelle oeuvre est exceptionnelle. En fait, pour dire la vérité, souvent, certains films de star ont effectivement un air de déjà vu. C’est notamment le cas des franchises américaines. De même le dernier « Asterix et Obelix » marche moins bien que les précédents et le second « Les trois mousquetaires » moins bien que le premier.
Reste évidemment pour les producteurs à trouver comment et avec qui offrir « autre chose ». Mais c’est pour cela qu’ils existent et sont indispensables. Ce qui est certain, pour le cinéma français, c’est que les plus gros succès, dont certains ont fait 10,15 ou 20 millions d’entrées ont toujours été des comédies. Mais aussi que les stars du comique ont triomphé quand elles ont joué dans des films dramatiques , de Bourvil dans « La traversée de Paris » à Coluche dans « Tchao Pantin » en passant par Fernandel dans « La Vache et le prisonnier ».
Bien entendu il y a une différence entre la politique et le cinéma. Pour ce dernier c’est le public qui a forcément raison, puisqu’il est indispensable qu’il ait envie d’aller au cinéma. En politique les solutions différentes proposées par les populistes ne vont pas forcément marcher si elles sont uniquement différentes.
Les professionnels du cinéma continuent de se demander ce qui explique la baisse de la fréquentation et, surtout, par quels moyens les salles peuvent revenir au niveau d’avant la crise de la Covid.
Certains incriminent le prix des places qui serait trop élevé. Ils remarquent notamment que la fréquentation a baissé de beaucoup moins dans les salles art et essai que dans les multiplex. Or les premières ont des prix plus bas que les secondes. Mais la baisse dans les multiplex est avant tout due à la baisse du nombre de blockbusters américains.
Jérôme Seydoux, le patron de Pathé estime que, quand les spectateurs vont voir un film qu’ils ont à coeur, les places « les plus chères sont celles qui partent le plus vite. » En réalité, ce n’est vrai que pour les rares superproduction pour lesquels l’IMAX, voire les sièges qui bougent, font la différence.
En fait, il semble que, pendant le confinement, nombre de français ont pris l’habitude d’autres loisirs, à commencer par les plates-formes. Et que leurs séries sont très souvent de bien meilleure qualité que la plupart des films qui sortent. Le problème est donc avant tout un problème d’offre. Lors des États généraux du cinéma, en introduction, Jack Lang l’a nié en dénonçant « le détricotage qui menace » et a incité à ne pas « se laisser embarquer dans une course à l’audience et à la fréquentation qui pourrait être fatale aux idées que nous pouvons partager les uns et les autres ». Donc il ne faut surtout pas chercher à remonter la fréquentation…
Aujourd’hui, du fait des plates-formes, une grande partie des spectateurs ne se déplacera pour aller au cinéma que « si cela en vaut vraiment la peine ». Certes, de bons films spectaculaires gagneront toujours â être vus en salle plutôt que sur un écran de télévision. Et, même pour un film non « spectaculaire », dans une salle pleine, l’émotion, se transmettant de spectateur en spectateur, est augmentée. Et, notamment, pour un film vraiment très drôle. Le rire est communicatif.
Cette offre « qui en vaut la peine », nécessaire au cinéma n’est pas synonyme de gros budget. Elle est synonyme de qualité et d’investissements proportionnés au potentiel du film. Qualité, culture et économie ne sont pas antinomiques. « Novembre », le film de Cédric Jimenez est un très bon film, particulièrement spectaculaire. Son budget est de l’ordre de 27 millions €, donc plus du double de son précédent film, « Bac Nord » qui en avait coûté la moitié et a rassemblé 2,2 millions de spectateurs. « Novembre » a démarré avec 25% d’entrées en plus, mais devrait réaliser d’excellent ventesinternationales. https://siritz.com/cinescoop/la-remuneration-de-cedric-jimenez-3/
Dans un autre registre « Revoir Paris « d’Alice Winocour est également un excellent film. Son budget est de 5,8 millions € et Pathé a donné un minimum garanti de 1 millions €pour les mandats salle, vidéo et étranger, c’est évidemment une bonne affaire. Tout comme pour les deux producteurs ce sera une très bonne affaire. https://siritz.com/cinescoop/la-remuneration-dalice-winocour/
Et, avec de petits ou moyens budget, d’autres films français ont été des réussites et des succès : « As Bestas », « La nuit du 12 » et « Les enfants des autres ». « L’innocent » être de la liste. Mais ils ne peuvent évidemment remplacer les blockbusters qui permettait aux films américains de faire 55% des entrées.
Le cinéma n’a de raison d’être que parce qu’il a des spectateurs. Une raison d’être qui n’est pas uniquement de faire vivre, et parfois très bien vivre, ceux qui le fabriquent. Or, au fil des années, au-delà du soutien du CNC, qui est une épargne forcée mais aussi un droit de douane sur les films étrangers, l’État n’a cessé de lui procurer des sources de financement supplémentaires qui n’ont aucun rapport avec l’existence de spectateurs : obligations d’investissement des chaînes, incitation d’investissement des régions, avantages fiscaux à ceux qui investissent dans les soficas, crédit d’impôt, obligations d’investissements des plates-formes, etc…
Donc, à l’encontre de ce que suggèrent nombre d’intervenants aux états généraux du cinéma, la solution ne semble pas dans l’ajout de soutiens pour financer des films sans spectateurs.
www.Cinefinances.info est un site, accessible par abonnement, destiné aux professionnels du cinéma. Il publie budget, le plan de financement et la répartition des recettes prévisionnels de tous les films français qui sortent (hors les films « sauvages » qui ne déposent pas leurs contrats au registre public et ne demandent donc pas l’agrément qui leur permettrait d’accéder à l’aide du CNC). Il s’agit des chiffres de l’agrément d’investissement sur la base duquel le producteur a monté son financement. Il dispose de nombreuses archives et d’un puissant moteur de recherche. Il dispose d’archives des films sortis depuis 2010 et d’un puissant moteur de recherche, avec de multiples critères.