Mercredi dernier, à 19 heures, sur LCI, le journaliste David Pujadas s’est livré à une démonstration à glacer le sang de ceux qui sont dans l’audiovisuel, les médias ou, même, de simples citoyens d’une démocratie. Il nous a annoncé qu’avant de rentrer sur le plateau, il venait juste d’enregistrer un petit speech d’une minute et il l’a rediffusé. Puis, dans la foulée, celui-ci a été rediffusé, mais en Portugais, avec exactement sa voix à lui et exactement le même visage, à l’exception de ses lèvres, adaptées à la prononciation de cette langue. Puis, la séquence a été rediffusée en Polonais, comme si c’était la langue maternelle de Pujadas. Et ce prodige a été réalisé, grâce à un logiciel d’intelligence artificielle.
C’est évidemment un progrès impressionnant, puisque c’est la possibilité de doubler en un tour de main un film dans toutes les langues du monde. Mais c’est d’un coup l’annonce de la disparition du métier de doubleur et de comédien de doublage, c’est à dire la disparition de milliers d’emplois de comédiens et de techniciens. Il est probable que la même technologie pourra faire dire à un responsable politique ou à une personnalité ce qu’ils n’ont pas dit, ce qui va faire faire un énorme bond aux fake news.
Le lendemain de cette démonstration, sur France inter, plusieurs comédiens français ont affirmé, avec une belle assurance, que cette technologie n’était pas menaçante, car « elle ne pouvait prendre en compte le sous-texte d’une interprétation. » Souhaitons que cet aveuglement ne soit pas partagé par la majorité de leurs collègues. Rappelons en effet qu’il y a quelques années, en un tour de main, les tournages des films et la diffusion en salle de cinéma avec des copies en pellicule ont été remplacés par le numérique. Pour les producteurs et les distributeurs les économies ont été considérables. En 2012 Kodak a déposé le bilan, puis su devenir une entreprise du numérique.
Une poignée de grands réalisateurs américains ont encore le pouvoir de tourner en pellicule, car le grain est plus fin. De même, la copie pellicule est le moyen le plus sûr de conserver un film. Mais les enjeux économiques sont tels que le transfert de technologie a été général et extrêmement rapide. Et le métier a été profondément changé. Ainsi, les réalisateurs ont désormais la possibilité de recommencer un nombre de fois illimité le tournage d’une scène et, dans un pays comme la France, certains films sortent, le premier jour, dans mille salles tandis que le nombre de projectionniste a fondu comme neige au soleil.
Rappelons que, dans le dernier Indiana Jones, Harrison Ford, qui a aujourd’hui 80 ans, n’en a que 40 dans la très longue scène du début. Et que personne n’a décelé la moindre « rigidité » dans son jeu.
Mais il y a plus. La semaine dernière, à Détroit, aux États-Unis, le producteur Waymark a présenté « The Frost », un court métrage de 13 minutes qui avait été entièrement fabriqué à l’aide du logiciel D-ID d’intelligence artificielle. Le producteur lui avait donné un court synopsis, avec des indications sur les personnages et le décor, et le logiciel avait réalisé un film que l’on aurait dit interprété par de vrais acteurs et tourné en décors naturel.
A l’évidence, les comédiens et les scénaristes américains ont toutes les raisons de s’inquiéter. Pour l’instant, les technologies de l’Intelligence Artificielle sont avant-tout développées outre-Atlantique. Mais on ne peut attendre que les grèves d’Hollywood aboutissent à de nouvelles règles du jeu qui nous seront imposées pour commencer à réfléchir sérieusement à la question. N’oublions que, si les GAFA sont toutes non européennes, c’est l’Europe qui leur a imposé des règles du jeu encadrant leur action et que les États-Unis sont en train de copier.