Archive d’étiquettes pour : Denis Goulette

BENGANA KARIM D’ACCORD AVEC DENIS GOULETTE

« Les 3 Mousquetaires de l’audiovisuel » sont l’occasion pour ces mousquetaires de s’exprimer et de dialoguer sur Siritz.com.

BENGANA KARIM (réalisateur, scénariste et producteur).
https://www.unifrance.org/annuaires/personne/304318/karim-bengana

Tout à fait d’accord avec Denis Goulette. https://siritz.com/cinescoop/confusion-entre-vision-et-contribution-a/ Pour ma part, je pense qu’il faut repenser la loi de 1957 (modifié en 85 si je me souviens bien) pour les œuvres audiovisuelles.Dans les faits, l’existence d’un droit moral inaliénable et incessible reconnu aux auteurs,  ne marche pas. Ils ont des droits patrimoniaux et les décisions artistiques sur les œuvres relèvent du rapport de force. Au vu des sommes engagées pour la création d’une œuvre audiovisuelle, l’auteur est-il en mesure de toujours faire valoir ses droits ? En effet, le danger est de mettre les œuvres au service de l’égo et non l’inverse.

Distinguer auteur de premier rang et auteur de second rang

J’ai toujours pensé que le principal auteur de l’œuvre audiovisuelle c’est l’œuvre audiovisuelle en elle-même qui dès lors qu’elle est en état de mise en production est soumise à des limitations induites par de multiples variables qui dépassent les exigences des personnes qui, dans le droit, sont désignés comme auteurs. Comment dès lors trancher entre les divers auteurs ?

Peut-être faudrait-il distinguer l’auteur de premier rang qui a une vision globale de l’œuvre et ceux qui l’accompagnent en vue de finaliser la conceptualisation globale du projet – auteur de second rang – mais qui deviendrait auteur de premier rang – si une unanimité de voix des auteurs de premier rang se faisait pour admettre les suggestions émises par ces personnes et ainsi permettre à l’oeuvre de prendre une nouvelle direction.

DENIS GOULETTE : L’ERREUR DE LA LOI DE 1957

Peu d’auteurs le savent, mais leur droit moral est paralysé de par la loi de 1957 tout le long de la production de l’œuvre. Seul le contrat peut protéger l’intégrité de leurs apports. Pas le droit moral. Le droit moral ne naît qu’une fois l’œuvre achevée. C’est d’ailleurs très intéressant de voir que, depuis 1957, il existe cette disposition, et pourtant la résistance qu’elle suscite. D’où la piste anthropologique de l’auteur unique pour tenter d’expliquer cette problématique. L’erreur de la loi de 57 a en revanche été de ne donner le final cut qu’au réalisateur et au producteur. En ce sens, elle n’est pas allée au bout de l’intention du législateur de paralyser le droit moral, et a contribué à entretenir le mythe de l’auteur unique.

BENGANA KARIM : LE FINAL CUT LAISSE DE CÔTÉ LE SCÉNARISTE DE L’OEUVRE

J’en ai conscience, car j’ai rédigé – il y a longtemps – un mémoire de DEA sur le droit moral des auteurs d’oeuvres audiovisuelles. Et j’ai effectivement constaté que ce fameux final cut – ou accord sur la version finale de l’oeuvre – laissait de côté le scénariste pourtant auteur de l’oeuvre. Sans doute est-ce dû à l’opiniâtreté d’un scénariste débutant, mais pourtant héros de la résistance – le père Bruckberger – qui s’opposa au premier film du grand cinéaste Robert Bresson. Dès lors, ce mythe de l’auteur unique – entretenu par la Nouvelle vague – ne serait-elle pas affaire de circonstance ?

DENIS GOULETTE : LA DIATRIBE DE BESSON

Distinguer auteur de premier rang et auteur de second rang

Pour aller plus loin et préciser l’origine (peu mise en valeur) de l’ostracisation du scénariste dans le processus de création, cette diatribe de Bresson devant les étudiants de l’Idhec en 55 –  » Qu’est-ce que vous voulez faire ? Est-ce que vous voulez prendre la suite de vos aînés et faire des films avec des vedettes, des acteurs, des histoires écrites par les scénaristes ? » Il proclame dans ses Notes : « Il faut être beaucoup pour faire un film, mais un seul qui fait, défait, refait ses images et ses sons en revenant à chaque seconde à l’impression ou à la sensation initiale, incompréhensible aux autres, qui les a faits naître… » Le mal est fait !

BEGANA KARIM

Denis Goulette – l’acte fondateur d’un courant de pensée réduisant l’auteur à une personne… Et sans doute celle de la loi de 1957

DENIS GOULETTE

La réflexion doit se faire à la fois sur un terrain très pratique (paroles de scénaristes), mais aussi sur un terrain plus théorique. Car je vois très bien comment le droit d’auteur est enseigné en France. Et c’est aussi une des raisons à l’arrivée de juristes en boîtes de production qui n’ont absolument pas compris le processus en jeu lors de l’élaboration des contrats…

L’HYPOTHÈSE DE DENIS GOULETTE

Pour poursuivre l’analyse de Dominique  Baron sur les rapports entre « Les mousquetaires de l’audiovisuel » Denis Goulette apporte la contribution d’un autre professionnel expérimenté. https://siritz.com/cinescoop/les-mousquetaires-de-laudiovisuel/

Il a en effet obtenu son master de propriété intellectuelle, puis travaillé 15 ans pour deux grands groupes audiovisuels en France (Telfrance et Tetra Media studio) https://siritz.com/le-carrefour/emmanuel-dauce-producteur-de-series/, les aidant à devenir des acteurs majeurs du secteur dans tous les genres (fiction, animation, documentaire, magazine, performance live). Pendant la même période et pendant 10 ans, il a été impliqué dans les questions syndicales en tant que secrétaire général de l’Association pour la promotion de l’audiovisuel. 

Denis Goulette a été  directeur général de la Writers Guild of France de janvier 2017 à octobre 2020.  https://fr.wikipedia.org/wiki/Guilde_française_des_scénaristes

A propos de la notion de showrunner j’en profite pour émettre une hypothèse :

Et si les problématiques de coopération entre les différents intervenants à la production d’une œuvre audiovisuelle ou cinématographique venaient du référentiel et du mythe de l’auteur unique ?

Pourrait-on dire que l’arrivée du cinéma a conduit à une rupture anthropologique majeure dans l’art de raconter des histoires, rupture anthropologique qui comme telle doit mettre un certain temps pour pouvoir être surmontée ?

De la manière de raconter des histoires via la vision d’un auteur unique, faire un film est devenu l’art de raconter une histoire via la contribution singulière de nombreux intervenants à une vision commune, qui elle devrait être unique.

Et si, plutôt que des querelles de territoires, ce n’était pas plutôt l’absence de cadre à une concertation destinée à permettre de faire émerger et/ou partager une vision commune qui était à incriminer.

Mon sentiment est qu’il y a une confusion entre les notions de « vision » et celle de « contributions » à cette vision.

Je pense qu’il n’y a aucun souci pour que la « vision » puisse être portée à l’origine par l’un ou l’autre des intervenants, qu’il soit scénariste ou réalisateur ou même, pourquoi pas, producteur.

En revanche, toute la question est d’arriver à créer un consensus initial autour de cette vision, qui va ensuite permettre aux contributions individuelles des scénaristes, du réalisateur et même des comédiens via leur interprétation, de donner à cette vision une consistance unique.

Repenser le cadre de la collaboration de chacun des intervenants

Pour surmonter cette équation, il faut repenser le cadre de la collaboration de chacun des intervenants. Il n’est plus possible de faire intervenir le réalisateur aussi tard dans le processus d’écriture en télévision, tout comme il n’est pas possible d’exclure le scénariste du processus de production une fois le financement réuni. Le premier doit intervenir bien en amont, et le second doit pouvoir intervenir et être consulté jusqu’au montage. Les comédiens doivent pouvoir bénéficier de lectures réunissant scénaristes et réalisateur, permettant d’ajuster au mieux les scènes et dialogues à venir en fonction de leur jeu/je, sans que cela ne donne lieu par la suite à des querelles de paternité.

Le CNC a un rôle fondamental à jouer. Car si les producteurs ne sont pas incités financièrement à repenser le cadre de la collaboration de chacun, ces questions resteront de belles spéculations intellectuelles, d’intervenants martyrisés par le système.

Un film est une grossesse collective, et il serait temps de supprimer de notre loi le terme de « droit de paternité », pour lui préférer celle de « droit d’attribution » déjà adoptée par certains pays.

Enfin, il serait opportun de choisir un autre porte étendard que Beaumarchais, qui a certes fait des merveilles en son temps, mais conduit malheureusement aujourd’hui à perpétuer ce mythe de l’auteur unique et les querelles autour de l’attribution et du partage des droits.

DENIS GOULETTE