Siritz : Comment devient-on créateur de costumes pour le cinéma ?
Madeline Fontaine : Costumier veut dire beaucoup de choses différentes. C’est quelqu’un soit qui fabrique des costumes ; soit qui choisit et gère des stocks de costumes pour la figuration ; soit qui gère un stock de location de costumes ; soit encore qui assure la continuité et l’entretien des costumes des comédiens. Le métier que j’exerce est la création de costumes, et il nécessite la contribution de tous les métiers de « costumier ».
Siritz : Y-a-t‘il une formation particulière ?
MF : Il n’ y a qu’une école qui prépare vraiment au travail de scénographie et de costumes de spectacle, c’est l’ENSATT à Lyon. Anciennement «La rue Blanche » à Paris . Elle forme d’une manière assez large à la conception et la fabrication de costumes. J’ai dans mon équipe des collaborateurs qui sont passés par cette école. On y accède par concours et il y a très peu d’élus chaque année, une dizaine. La plupart des candidats ont eu d’autres formations avant, par exemple en Diplôme de Métier d’Art de coupe et de couture, comme à Nogent pas exemple. Ou sans des lycées professionnels comme Paul Poiret à Paris. Il en existe aussi plusieurs en province. Le chemin ne passe d’ailleurs pas obligatoirement par la couture. Mais il n’y a aucune autre école qui prépare spécifiquement à ces métiers, comme la Fémis pour plusieurs métiers du cinéma. En fait, ceux qui exercent ces métiers viennent d’horizons très différents.
Des métiers qui supposent une culture générale et artistique
Siritz : Comme la décoration.
MF : Effectivement. Et il y a aussi des rencontres, au plein sens du terme, qui permettent de développer cette spécificité de métier.
Siritz : Quel a été votre parcours à vous?
MF : J’ai suivi l’option artistique au lycée, parce que j’étais attirée par les métiers créatifs et artistiques. Je me dirigeais vers les Arts Déco. Mais je n’ai pas été au bout du parcours. Et j’ai eu la chance de rencontrer ce métier qui m’a tout de suite attirée. Et de travailler avec des créateurs de costumes qui faisaient ce métier avec passion. J’ai été assistante assez longtemps, et j’ai appris beaucoup en exerçant. Ce sont des métiers qui supposent une culture générale et artistique. Une curiosité aussi, une sensibilité au monde, et une formation sur « le terrain » également.
Siritz : C’est très différent entre le cinéma et le théâtre ?
MF : Oui, très différent. Il y a d’excellents créateurs de théâtre et d’opéra qui ne sauraient, en tout cas pas tout seul, travailler à un projet de cinéma. Et réciproquement. Pour le théâtre et l’opéra, on doit faire des costumes qui se voient de loin. Comme dans l’art statuaire, les volumes et les proportions sont traités différemment. De même, le rapport à lumière, les couleurs et la patine. Dans le cinéma, les costumes doivent être vus de très près, et la précision est de mise dans le choix des textiles et dans le soin des détails.
Siritz : A quel stade de l’élaboration du film intervenez-vous ?
MF : En général l’histoire s’écrit, puis on trouve le financement et, ensuite, on vous propose le projet. Ce sont parfois les réalisateurs qui vous connaissent, ou connaissent et apprécient votre travail. Parfois la recommandation vient d’un producteur et l’on rencontre alors le réalisateur. Il y a certains réalisateurs avec lesquels j’ai eu la chance de travailler plusieurs fois. Il y avait donc une confiance établie.
Sirtz : Le premier avec qui vous travaillez c’est le réalisateur ?
MF : Oui. Evidemment. Mais, c’est aussi un travail d’équipe. On travaille aussi avec la lumière, le décor et, avec les comédiens qui vont incarner les personnages.
Il faut créer l’univers dans lesquels vont vivre les personnages. Donc la lumière et le décor de cet univers, de même que l’apparence des personnages.
On fait des tests filmés pour vérifier que tout est en cohérence. Il y a également un aspect non négligeable qui est l’aspect financier. Et, après la lecture du scénario, il faut « le dépouiller » et quantifier les costumes nécessaires, le temps de réalisation , l’équipe d’atelier et de préparation , de tournage, établir le budget , avant de pouvoir entrer en phase de recherche et de fabrication.
Siritz : Est-ce que les réalisateurs expriment très bien leur vision ?
MF : Ca dépend. Certains oui, d’autres plus difficilement. Et ils ont besoin de voir des propositions pour reconnaître ce qui leur parle.
Les anglo-saxons respectent le travail de costume
Siritz : Remy Chevrin, le directeur de la photo, dans un précédent Carrefour, (voir :https://siritz.com/le-carrefour/remy-chevrin-notre-cinema-manque-dambition-visuelle/
affirme que la plupart des réalisateurs français manquent d’ambition visuelle, qu’ils ne s’intéressent qu’au scénario et aux comédiens. Pas tous évidemment. Certains ont une vraie ambition visuelle. Mais, selon lui c’est une différence avec les réalisateurs anglo-saxons ou asiatiques pour qui l’ambition visuelle est essentielle. Il est très clair qu’une grande partie des réalisateurs avec lesquels vous avez travaillé ont cette ambition visuelle. Mais vous, ou les créateurs de costume de votre association, avez-vous eu la même expérience que Remy Chevrin ?
MF : Il y a différents aspects de la question : culturels certes, mais également financiers.
L’importance esthétique n’est pas toujours considérée par les producteurs, même si l’ambition des réalisateurs tend à un visuel de qualité.
Je n’ai pas beaucoup travaillé avec les asiatiques. Avec les anglo-saxons si. Je pense que c’est une question de respect. Les anglo-saxons respectent le travail de costume. C’est très net en ce qui concerne les comédiens : ils ont une toute autre attitude, ils comprennent que le costume va les aider à passer de ce qu’ils sont dans la vie au personnage qu’ils interprètent. De ce fait ils sont coopératifs, ils sont dans la connivence, et savent être reconnaissants du travail accompli. C’est un peu plus rare avec les comédiens français, à l’exception toutefois des comédiens qui jouent au théâtre.
Siritz : De la part des français c’est un manque de culture ?
MF : Cela s’explique sans doute par le fait que les comédiens anglais sont très souvent des comédiens de théâtre. Cela rend modeste, parce que tenir une scène pendant deux heures ça n’est pas comme rassembler des petits bouts d’un puzzle d’instants et d’émotions, comme c’est le cas au cinéma. Néanmoins, bâtir un personnage et raconter une histoire à partir des petits morceaux d’un puzzle, c’est difficile aussi. Mais c’est différent.
Et le comédien de théâtre fait partie d’une troupe, d’une équipe, au sein de laquelle chaque poste est important et va contribuer au résultat final. Une équipe qui se côtoie quotidiennement et s’apprivoise autrement.
Les comédiens qui ne font que du cinéma et qui ont vite du succès n’ont pas cette formation ni cette approche.
Des comédiens qui sont l’image et des reflets de ce qu’ils sont dans la vie
Siritz : Est-ce que, dans les fictions contemporaines, le travail de recherche et de création est aussi important que dans les films d’époque ?
MF : Bien sûr. Mais il est encore moins considéré. Même dans une époque contemporaine, l’apparence révèle beaucoup de choses sur les personnages.
Mais le travail est plus ingrat, parce que la majorité des comédiens se situent dans des images et des reflets de ce qu’ils sont dans la vie. Quand c’est une époque passée, ou de l’anticipation, le comédien a plus facilement tendance à lâcher ses références personnelles et contemporaines, à jouer le jeu de l’accès au personnage par le costume.
« Le diable s’habille en Prada » ce n’est pas le cas de tout le monde. Et, pour être crédible le personnage doit avoir les codes de son milieu, et la personnalité du caractère qu’il incarne.
Siritz : Donc c’est ingrat de travailler sur du contemporain.
MF : Oui. Tout aussi intéressant, mais plus ingrat à mon sens. D’abord parce qu’il faut se noyer dans les boutiques, et se contenter des propositions de la saison , bien que l’on tente de varier en mélangeant avec des pièces plus anciennes. Ensuite, parce que le travail de costume est souvent minimisé par les productions. Néanmoins, ce qui est intéressant, c’est que dans la nuance on arrive à créer la véracité.
Siritz : Et dans une série comme « Versailles », avec tant de costumes, où avez-vous trouvé vos références ?
Je « monte » toujours un atelier
MF : Il y a évidemment les tableaux, et les écrits, les pièces des musées.
Mais pas d’accès aux pièces authentiques, sinon quelques précieux détails qui aident à installer une crédibilité historique. Il fallait trouver des matériaux qui puissent évoquer la richesse de la Cour à l’époque, pour tous les comédiens, et pour les très nombreux figurants.
Siritz : Qui a fabriqué ces costumes ? Il y a des prestataires ?
MF : Je « monte » toujours un atelier. Parce que c’est très important pour moi de pouvoir suivre le processus de création dans sa totalité. Du choix des matériaux à la recherche des coupes, la mise au point de prototypes, la confection des costumes, la teinture et ce qu’on appelle l’ennoblissement des costumes. Il faut donc pouvoir travailler véritablement ensemble avec les différents intervenants.
Pour Versailles, nous avons eu recours à la fabrication de séries afin d’avoir une unité. Après la mise au point des prototypes pour qu’ils soient déclinables, nous avons confié la fabrication à des loueurs qui pouvaient ensuite récupérer les stocks. Peu de stocks existants en Europe pour cette époque lorsque nous avons commencé notre recherche, on n’en a trouvé ni en France, ni en Italie, ni en Espagne ou en Angleterre en quantité suffisante et cohérente. On a beaucoup travaillé sur le XVIIIème, à cause de la révolution, mais pas sur le XVIIème. Nous avons inclus toutes les pièces que nous pouvions intégrer, pour qu’il y ait de la variété.
Au Danemark les créateurs de costume ont des droits sur leur création
Siritz : Créer des costumes est véritablement un art. Est-ce que dans certains pays les créateurs de costumes ont des droits d’auteur sur leur création ? J’ai l’impression que ça n’est pas le cas en France.
MF : C’est vrai. Je fais partie depuis deux ans, d’une association européenne de décorateurs et créateurs de costumes qui se nomme ARTSCENICO et je vois que, dans plusieurs pays, comme le Danemark par exemple, les créateurs de costume ont des droits sur leurs créations. Pas en France où nous produisons beaucoup plus que dans beaucoup de pays européens. Nous ne sommes pas souvent considérés comme collaborateurs artistiques alors que le même projet servi par quelqu’un d’autre serait forcement différent.
La raison que l’on nous donne c’est que nous bénéficions du système solidaire des intermittents du spectacle, qui offre parfois des allocations entre deux projets. Si nous étions auto-entrepreneurs ou que nous faisions partie de la « maison des artistes », sans les avantages du statut d’intermittent, nous pourrions peut-être revendiquer des droits. D’ailleurs, la première chose que l’on fait quand on signe un contrat, c’est de céder tous nos droits sur les créations tant en décoration qu’en costumes.
Siritz : Est-ce que, pour vous tenir au courant, vous allez voir de nombreuses expositions, mais aussi les présentations de mode ?
MF : L’Art m’intéresse en général. Tout ce qui peut nourrir l’inspiration est intéressant.
Siritz : Est-ce que vous donnez des cours dans les écoles de cinéma pour sensibiliser les élèves à la place des costumes et à votre approche de la création ?
MF : La Fémis ne me l’a jamais proposé. Mais d’autres écoles oui. Je le fais volontiers quand j’ai le temps parce que j’estime que transmettre est essentiel. C’est important pour des élèves qui ne vont pas faire mon métier de le prendre en compte. Un magnifique costume mal éclairé ç’est vain.
Siritz : Créer des costumes est véritablement un art. Est-ce que dans certains pays les créateurs de costumes ont des droits d’auteur sur leur création ? J’ai l’impression que ça n’est pas le cas en France.
MF : C’est vrai. Je fais partie depuis deux ans, d’une association européenne de décorateurs et créateurs de costumes qui se nomme ARTSCENICO et je vois que, dans plusieurs pays, comme le Danemark par exemple, les créateurs de costume ont des droits sur leurs créations. Pas en France où nous produisons beaucoup plus que dans beaucoup de pays européens. Nous ne sommes pas souvent considérés comme collaborateurs artistiques alors que le même projet servi par quelqu’un d’autre serait forcement différent.
La raison que l’on nous donne c’est que nous bénéficions du système solidaire des intermittents du spectacle, qui offre parfois des allocations entre deux projets. Si nous étions auto-entrepreneurs ou que nous faisions partie de la « maison des artistes », sans les avantages du statut d’intermittent, nous pourrions peut-être revendiquer des droits. D’ailleurs, la première chose que l’on fait quand on signe un contrat, c’est de céder tous nos droits sur les créations tant en décoration qu’en costumes.
Siritz : Est-ce que, pour vous tenir au courant, vous allez voir de nombreuses expositions, mais aussi les présentations de mode ?
MF : L’Art m’intéresse en général. Tout ce qui peut nourrir l’inspiration est intéressant.
Siritz : Est-ce que vous donnez des cours dans les écoles de cinéma pour sensibiliser les élèves à la place des costumes et à votre approche de la création ?
le cinéma est un langage visuel
MF : La Fémis ne me l’a jamais proposé. Mais d’autres écoles oui. Je le fais volontiers quand j’ai le temps parce que j’estime que transmettre est essentiel. C’est important pour des élèves qui ne vont pas faire mon métier de le prendre en compte. Un magnifique costume mal éclairé ç’est vain.
Siritz : Tous les réalisateurs devraient avoir une sensibilisation de ce type.
MF : Bien entendu. C’est visuel. Or le cinéma est un langage visuel. Il doit tenir compte du regard et de l’esthétique. D’ailleurs, à la lecture d’un scénario on sent s’il y a une sensibilité à l’esthétique, à la manière dont les choses sont décrites, au même titre qu’en littérature.
Siritz : Il y a des scénarii qui sont uniquement du texte et d’autres qui vont jusqu’au story-board, plan par plan.
MF : Parfois. Cela sert plus particulièrement lorsqu’il s’agit de scènes compliquées à découper. Mais le story-board coûte cher. Tous les projets n’en ont pas les moyens.
Et le scénario a un avantage, c’est de permettre de projeter son propre visuel. Et ensuite, de l’accorder avec la vison du réalisateur. Le story-board est déjà une interprétation élaborée par quelqu’un, et on a plus de difficulté après de s’en détacher et d’imaginer les choses autrement.
Voir aussi la carrière de Madeline Fontaine :