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L'édito de Serge
Serge Siritzki

POUR SURVIVRE LES SALLES DOIVENT BOUGER

Par Serge Siritzky

Produire des contenus remplaçant les blockbusters qui vont manquer

Théoriquement, quand elles ré-ouvriront, les salles françaises ont un bel avenir devant elles. Mais, comme analysé dans l’éditorial de la semaine dernière, leur avenir dépend en fait de la stratégie que vont adopter les majors américaines dont les films représentent grosso modo 50% de la fréquentation française.  https://siritz.com/editorial/la-salle-de-cinema-menacee-de-mort/

Cela devrait nous inciter à réfléchir à notre écosystème du cinéma, dont nous sommes très fiers, mais qui est peut-être dépassé.

Nous pouvons être fiers de l’écosystème du cinéma français

Notre production de film est sans doute la première et la plus diversifiée d’Europe. Mais elle ne représente que 35 à 40% de la fréquentation de nos salles. Le fonds de soutien est un mécanisme génial :  à la fois épargne forcée obligeant les entreprises de production, de distribution et d’exploitation à constamment investir et un droit de douane sur les productions étrangères, permettant d’amplifier cette incitation à l’investissement. Mais il ne contribue qu’à 10% au financement de nos films. S’y ajoutent les investissements des soficas qui attirent les capitaux des particuliers. Et, enfin, les soutiens régionaux.

Mais le mécanisme essentiel est l’obligation des chaînes à péage et des principales chaînes en clair à investir une partie de leur chiffre d’affaires dans le financement de nouveaux films. Il représente aux alentours de 30% de ce financement. Va s’y ajouter, d’ici quelques mois, l’obligation  faites aux plateformes de S-VoD d’investir une partie de leur chiffre d’affaires dans de nouveaux films.

Ce système permet à la fois de produire un nombre record de films de tous genres et de tous budgets et un accès régulier de nouveaux talents à la réalisation. Dans l’ensemble, son bilan est plutôt positif. Mais il sa toujours souffert d’un défaut propre à la plupart des interventions publiques en France : il n’y a pas d’évaluation régulière de chaque mécanisme, en fonction de critères précis, mais qui n’ont d’ailleurs pas été définis, quitte à les revoir régulièrement .

Mais cet écosystème est dépassé

En tout cas, l’environnement du cinéma est en train de profondément changer du fait du développement des plateformes de S-Vod. Celles-ci génèrent un besoin de plus en plus important et diversifié de production de contenus, ce qui est très positif pour le secteur audiovisuel dans son ensemble. Et, notamment, la création, dans tous les pays, à commencer par le nôtre. Mais ces plateformes ont avant tout besoin de séries, que ce soit de fiction, d’animation ou de documentaire. https://www.zdnet.fr/blogs/digital-home-revolution/hbo-max-et-disney-gagnants-de-la-fin-d-annee-aux-etats-unis-39915809.htm

Et nos chaînes vont devoir s’adapter à cette concurrence très puissante puisqu’elle provient essentiellement de diffuseurs qui amortissent leur production sur le marché mondial. Pour y parvenir les chaînes développent de plus en plus le replay et des plateformes spécifiques internet. Cela représente un investissement très important et les films de cinéma vont de moins en moins répondre à leurs besoins. Quant aux plateformes, les films de cinéma, d’abord sortis en salle, ne représenteront qu’une petite partie de leurs besoins.

Pour nos talents et nos producteurs, c’est une très bonne nouvelle. Ils sont dans un secteur en plein expansion qui risque de souffrir de goulots d’étranglements plutôt que de trop plein. Les producteurs vont devoir investir dans le développement de 4 ou 5 séries par an pour en produire une, mais avec une marge assurée et sans risque. Pour nos exploitants c’est autre chose. Certes, la sortie cinéma correspond à un besoin fondamental. Mais il risque de manquer de produits à diffuser : les blockbusters américains car les majors orienteront une part croissante de leurs investissements vers leurs plateformes de S-VoD.

Aux Etats-Unis, depuis quelques années, la Cour suprême a supprimé l’interdiction qui était faite aux majors de posséder des salles. Aucune n’a choisi de racheter de grands circuits. C’est une preuve supplémentaire de leur orientation prioritaire vers les plateformes. Cela signifie qu’il est impératif pour les exploitants américains, européens et français de se préoccuper de leur approvisionnement futur. D’une part en imaginant des productions qui vont remplacer les blockbusters manquants, peut-être en imaginant des alliances mondiales. D’autre part en développant les retransmissions d’évènements, du type des opéras, qui visent un public restreint mais qui sont un succès.

Certes, en France, les grands circuits de salle-Pathé, UGC, CGR- sont producteurs et distributeurs de films. Mais pas de films susceptibles de compenser la disparition ou le recul des blockbusters américains.

Clairement, c’est aux grands circuits de salle de cinéma de bouger. Car, quand le cinéma va reprendre son cours « normal », il se sera passé beaucoup de choses, un peu comme pour les passagers d’Air France dans «L’Anomalie », le dernier et extraordinaire Goncourt.

 

 

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