Cinescoop

Y-A-T-IL ENCORE UN RÉALISATEUR DANS L’AVION ?

LES MÉFAITS DU RAPPORT CHEVALIER

En 1960, apparition des feuilletons télé, qui passent en couleur en 1967. Le premier gros succès est Janique Aimée en 1963. Des réalisateurs éminents de télévision profitent du flux Nouvelle Vague pour prendre le pouvoir comme au cinéma. Mais quoi qu’en disent certains, cela s’éteint dans les années 2000 avec l’invasion des séries et la chute des œuvres unitaires (hors collections) aujourd’hui tombées à 12%. Car, à l’inverse du territoire du showrunner qui s’élargit logiquement, celui du réalisateur se rétrécit en télé, où il est de plus en plus menotté, sauf s’il vient du cinéma avec sa notoriété. Pourquoi ? https://siritz.com/cinescoop/les-mousquetaires-de-laudiovisuel/

La première raison est commerciale : invasion des séries et collections 52’ et 90’ qui imposent aux réalisateurs télé ce dont les scénaristes non showrunners souffrent déjà, à savoir l’interventionnisme qui génère la dépendance, et parfois une autocensure qui satisfait diffuseurs et producteurs.

Le rapport Chevalier en 2011 : pas de réalisateur parmi les auteurs

La deuxième raison est technocratique. Le rapport Chevalier de 2011, titré “Le défi de l’écriture et du développement“, censé trouver des pistes pour relancer la fiction en crise, fut rédigé sans réalisateurs.  https://www.cnc.fr/documents/36995/145478/rapport+de+la+mission+Chevalier+sur+la+fiction+française.pdf/7a5e3269-8b84-cc43-b88b-c73272e219b7. Seul le scénario compterait et le développement d’une série n’aurait pas besoin du réalisateur ! Mais qui oserait faire un rapport sur la crise de l’Assistance Publique sans y associer les urgentistes ?! Le ministre 2011 Frédéric Mitterrand, ayant lui-même réalisé, s’en excusa. Mais le mal était fait. L’avis nécessaire du réalisateur de terrain en fin de l’écriture (version tournage), et son apport artistique évident dans les premiers épisodes d’une série, étaient officiellement ignorés. Tristesse…

La dignité et le talent des auteurs, scénaristes et réalisateurs

Marcel Achard aurait apprécié ce rapport qui oubliait la mise en scène avec son « tandem exclusif scénariste-producteur » (sic), rapport qui est déjà dépassé et ne défend pas plus les scénaristes. Il n’a pas su empêcher leur sous-estimation, leur sous-rémunération, ni anticiper l’importance du showrunner qui dérange des producteurs en mal d’autorité et qui négligent parfois sans élégance le “tandem“.

On l’a vu sur une série récente très médiatisée où la production a refusé aux deux scénaristes d’origine la direction artistique et une coproduction justifiée, c’est-à-dire le showrunning. Double peine pour les deux auteurs de base déjà injustement négligés dans la promotion médiatique et qui se retrouvent interdits d’un showrunning indispensable pour la suite de la série ! Comme dit l’un d’eux meurtri à juste titre : « La production nous l’a fait miroiter et n’a pas respecté ses promesses. Nous avons notre part de responsabilité. Après 25 ans de métier, croire encore en la parole d’un producteur, il faut être idiot ! ». Heureusement, ça n’est pas universel…

Retour au sujet. Il est évident que rien ne peut naître sans scénario. Lapalissade. Mais la réalisation n’est pas anodine, même en série industrielle. Témoignage d’un jeune réalisateur mélancolique : « Je suis content de tourner mais triste d’être ubérisé comme un coursier car même dans l’épisode lambda 225, que deviendrait le scénario sans mon travail avec les acteurs, mon découpage, le choix des optiques, des mouvements de caméra, le sens de l’image ? Un regard que je suggère au comédien peut changer une scène, même sur un feuilleton express à petit budget. C’est ça, ma réalisation. »

Il est soutenu par le grand Sidney Lumet : « Sur la base fondatrice du scénario, le réalisateur maîtrise la technique, la grammaire des caméras, le temps de tournage, mais surtout l’ensemble des facteurs de beauté et d‘émotion de chaque scène : l’harmonie des personnages avec les décors et les objets, la profondeur focale, l’ombre et la lumière, l’équilibre entre technique et artistique. Un silence, un geste, l’émotion d’un regard, peuvent ennoblir une scène banale. Seul le réalisateur a cette compétence ! »

Et pour ceux qui, malgré ces dignes citations, ne saisissent toujours pas la part d’auteur du réalisateur, ajoutons  Jean Aurenche, grand auteur avec qui j’ai eu la chance de débuter quand j’étais scénariste novice. Bien qu’injustement critiqué par la Nouvelle Vague, il n’a jamais basculé dans l’aigreur à la Marcel Achard et m’a dit un jour où nous parlions à l’apéro d’harmonie artistique : « Si je découvre en projection une scène que je n’ai pas écrite et dont je suis ému, j’en remercie le réalisateur »

Jean Aurenche nous ravit par son élégance, qui est loin d’être universelle dans la guerre des égos. La passion d’écrire, qu’elle soit au clavier, à la caméra, ou les deux, ne survivra que dans l’harmonie du noble trio formé avec des producteurs créatifs et éthiques, à l’inverse de la production évoquée plus haut, qui a confisqué le showrunning aux scénaristes adaptateurs d’origine pour ménager des réalisateurs cinéma de notoriété, et peut-être économiser des séances personnelles en thérapie…

DOMINIQUE BARON

(à suivre le 6 mars , épisode 3 : Mais où sont les 3 mousquetaires ?)