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Notre audiovisuel au coeur de l’intelligence artificielle

L’intelligence artificielle va sans aucun doute bouleverser notre cinéma et notre audiovisuel.https://siritz.com/editorial/une-demonstration-a-glacer-le-sang/ C’est pour cette raison que le cinéma et l’audiovisuel américains ont connus deux des plus grandes grèves de leur histoire. Celle des auteurs et celle, qui dure toujours, des comédiens.

Dans cette optique un groupe de travail passionnant et très instructif  a eu lieu mardi dernier au barreau de Paris. Son objet précis était « Quand l’intelligence artificielle défie les artistes-interprètes. » Il était organisé par maitre Gérald de Bigle (grand spécialiste du droit d’auteur), sous l’égide de la Commission ouverte Innovation Numérique et Audiovisuel ainsi que de la Commission ouverte Propriété Intellectuelle du barreau de Paris.

Y participaient des avocats, mais aussi des producteurs, des agents d’artistes, l’américain Jimmy Schuman, représentant du Syndicats des artistes, et Alexandra Bensamoun, professeur de droit récemment nommée par la Première ministre au sein du Comité interministériel de l’intelligence artificielle. Cette dernière a d’ailleurs rappelé que l’impact de l’IA sur l’audiovisuel était un enjeu très important pour le gouvernement parce que ce secteur représentait 4% du PNB.

Un format Français acheté par Warner

Première révélation de cette réunion : on a l’habitude de dire que, en matière de nouvelles technologies, l’Europe réglemente mais que ce sont les États-Unis qui innovent et exploitent ces nouvelles technologies. Or, d’emblée le producteur et animateur Thierry Ardisson nous a démontré que c’était faux. En effet, il y quelques années, il a eu l’idée de réaliser une émission de télévision d’une heure-et-demi, où il interviewait un comédien décédé, racontant sa vie et donnant l’occasion d’utiliser des images d’archives. Cette émission, « L’heure du temps » a été commandée par France 3. Deux-l’une sur Dalida, l’autre sur Coluche-ont été déjà été diffusées en deuxième partie de soirée. Une troisième porte sur Gabin. Fait remarquable : Warner a acheté le format et que l’émission a été nominée aux Emmy Awards.

THIERRY ARDISSON

A cette occasion Ardisson a rappelé qu’il n’y a pas de droit à l’image sur les personnes décédées (arrêt de la Cour de Cassation du 15 février 2005) . Néanmoins, pour ses trois émissions il a informé les héritiers de son projet et a recueilli leurs avis sur le contenu.

L’intelligence artificielle a été confiée à Mac Guff, le spécialiste Français des effets spéciaux. Au départ il n’était pas intéressé. Aujourd’hui, c’est l’un des principaux spécialistes mondiaux de l’utilisation de cette technologie. Il s’agit, à partir des multiples images d’archives du comédien, de les introduire dans une machine qui va faire du « deep learning » et reconstituer un visage du comédien et toutes ses expressions pour le coller à la place de celui du comédien qui va l’interpréter. Ce dernier doit avoir la corpulence et la silhouette de celui qu’il interprète. Tout ce qu’on va lui faire dire aura été dit par le comédien imité et il ne parlera pas d’évènement survenus après sa mort.

Ardisson insiste sur le fait que le plus difficile est de bien reproduire la gestuelle propre au comédien. Important aussi la reproduction de la voix. Elle a été confiée à une autre prestataire : L’IRCAM du Centre Georges Pompidou qui a développé la technique du voice cloning. Mais Ardisson se demande si, dans certains cas, il ne serait pas moins coûteux de prendre un imitateur.

A noter que France 3 n’a pas commandé plus de trois émissions, sans doute parce que l’audience n’était pas au rendez-vous mais aussi parce qu’une telle émission coûte 700 000 € alors que, pour une deuxième partie de soirée de 90 minutes, la norme est 200 000 €. Et son format est trop bavard pour une émission de première partie de soirée.

Mais si on ne peut hériter du droit à l’image de ses parents, aux États-Unis Al Pacino a vendu ses droits post-mortem…

Bien que le sujet de la réunion portait sur le droit des comédiens, le droit d’auteur a étéégalement abordé. Alors qu’il n’y a pas de droit d’auteur sur une idée, certains juristes se sont demandé si l’ingénieur, qui, sur des instructions qui lui ont été données (Prompt), réalise une œuvre à l’aide de l’intelligence artificielle, n’avait pas un droit d’auteur sur cette oeuvre. À quoi Alexandra Bensamoun a répondu que ce serait au tribunal de juger. « Or il n’y a pas de droit d’auteur pour un savoir-faire. Pour que le droit d’auteur soir reconnu il faut que la personnalité du créateur apparaisse dans la création. »

 

ALEXANDRA BENSAMOUN

La discussion a ensuite porté sur le droit des comédiens vivants sur l’utilisation de leur image pour en faire un clone et sur leur droit de négocier la rémunération de cette utilisation. Toute la question sera de déterminer quelle sera le niveau de cette rémunération et en fonction de quels critères.

Peut-on sourire le data mining ?

Un des grands défis de L’IA c’est qu’elle utilise tout ce qui est disponible sur internet. C’est le « data mining ». Normalement, dans la directive européenne sur l’IA, en cours d’approbation, il sera confirmé que l’IA a accès à l’ensemble de l’internet. Mais, par exception, il sera prévu que les détenteurs de droits d’auteurs ou de droits voisins ou leurs représentants pourront refuser cette utilisation.

Mais se pose alors une autre question : dans quelle mesure est-il possible de déterminer, dans une création par IA, ce qui a été emprunté et, plus précisément, à quelle oeuvre, image ou musique, cela l’a été ? Certains estiment qu’il est impossible de savoir quelles données l’algorithme a été utilisé dans l’univers de l’internet. D’autres pensent que cela doit être possible et que la loi devrait obliger les algorithmes à inclure cette capacité. Dans ce cas, avec la puissance de calcul des ordinateurs quantiques, en cas d’accusation de plagiat devant un tribunal, la réponse pourrait être donnée.

l’américain Jimmy Schuman a rappelé que les Européens aiment fixer les règles du jeu par des lois nationale ou des directives européennes. Aux États-Unis c’est le contrat ou la convention collective qui prédomine. Néanmoins, il peut alors étendu par au niveau National par l’exécutif. C’est le cas de l’accord entre les studios et le syndicat des auteurs, qui traite en grande partie de l’IA, qui vient d’être signée. Rappelons que la grève que continuent de poursuivre les comédiens, porte également largement sur l’IA.

Bettina Funk Brentano, qui est agent d’artistes de la musique, solistes comme musiciens d’orchestre, fait remarquer que ces conventions collectives américains sont très protectionnistes. Ainsi, s’il est possible pour des grands solistes d’aller travailler aux États-Unis c’est quasiment impossible pour un orchestre. L’inverse n’est pas du tout le cas en Europe.