Cinescoop

L’OFFRE DE FILM S’EST RÉTRÉCIE

SELON LA PRODUCTRICE DOMINIQUE CRÉVECOEUR PLUS DE FILM NE VEUT PAS DIRE UNE PLUS GRANDE VARIÉTÉ DE FILMS

En quelques années le fonctionnement du financement des films, de leur écriture, de leur fabrication et de leur promotion, s’est rationalisé et cadencé. Mettant sous cloche, mine de rien, sous prétexte de la protéger, la liberté d’entreprendre et de créer.

Difficile de ne pas constater aujourd’hui à quel point le cinéma est tenu, écrit, réalisé, soutenu, produit, distribué et sa commercialisation « pensée » par un microcosme. Un microcosme très parisien, dont les décisionnaires jouent aux chaises musicales entre secteur privé et public et se cautionnent les uns les autres dans leurs choix consensuels.

Leur « regard » pèse plus que celui de ceux qui écrivent et fabriquent des films. Ils ont le pouvoir. Les producteurs sont leurs courtisans, les créateurs sont leurs créatures et finissent par jouer les utilités.

Sur nos écrans, le cinéma est de façon répétitive le lieu des récits de la bourgeoisie et des faits de société.

Pour un film qui déploie un sujet original, une ambition internationale et du souffle, combien   d’usinages laborieux voient le jour en deux temps, trois signatures. Et  sont financés les doigts dans le nez dans une escalade de chiffres vertigineux par des gens qui n’ont même pas pris la peine de lire un scénario (si encore quelqu’un a pris la peine de l’écrire.)

A quelques exceptions près, que la mauvaise conscience de ceux qui orchestrent un tri implacable nous oppose régulièrement, c’est sur le même type de films que la quasi-totalité des financements se place désormais avec un bel ensemble. Car, dans cette course à l’échalote, ceux qui jusqu’ici méprisaient le système des subventions publiques, s’y sont mis et sont les grands gagnants de la cagnotte.

Et « le public » dans tout ça? Ben… il ne peut statuer que sur les films qu’on lui présente. L’offre s’est considérablement rétrécie, concentrée sur « les valeurs sûres », les méninges des passeurs sont fatiguées ou bloquées sur la touche replay.

Peut-on se satisfaire de réduire aujourd’hui le rôle du cinéma à un support de débat pour sujets de société « sensibles », à la cavalerie des grosses comédies bien de chez nous ou à un divertissement grand spectacle usiné par la puissante artillerie chewing-gum, même talentueux ?

Est-ce vraiment la quantité qui menace le devenir de la production française, son système de financement inégalable et de refinancement intelligent ? Ou, au delà de la qualité des films, l’absence de variété de l’offre ?

Pourquoi cette obsession à plier tout ce qui bouge à un seul mode narratif, dans un formatage excessif, à faire rentrer les récits dans des «dossiers » et dans des cases prédéterminées dont tout le monde se fout,  sauf les esprits comptables ? Ou encore nous obliger à jongler avec les différentes tyrannies réglementaires et maniaques au lieu de libérer l’énergie créatrice et entrepreneuriale? Et faire exploser les frontières du genre et de la création cinématographique ?

Il y a des réalisateurs techniciens, parfois très bons artisans. Il y a des réalisateurs magiciens, plus rares, pour qui la mise en scène n’est pas seulement une captation et le montage l’exécution du programme scénaristique, mais un langage, un outil de valorisation du récit. Les magiciens ont aussi besoin d’accéder au public, à la diversité des spectateurs, et il est indispensable qu’ils s’y confrontent – mais pas dans un ghetto, pas dans une exposition bâclée, non valorisée, dans une commercialisation et une rentabilisation perdues d’avance.

On peut aussi sublimer ce travail, ce soin à amener vers un public supposé rétif des films qu’il n’attend pas. Qu’il n’attend plus.

La création ne se décrète pas. Son processus est inaccessible, obscur, incernable. Il faut l’accompagner sans certitude, c’est un pari complexe pour lequel nombre de producteurs indépendants ont pris des risques et se sont cassé la figure, parce que l’ensemble de la profession qui sait tout « mieux », semble préférer l’asphyxie et la répétition à la curiosité, le discours tout fait et la rentabilisation à court terme à la recherche de l’alchimie commerciale.

Chacun de nous a fait l’expérience d’un film inattendu (d’un livre, d’un tableau, d’une sculpture, d’une pensée…) audacieux, qui émerveille, porté par la grâce ou une exigence, et qui nous fait accéder à une autre dimension de notre humanité. C’est fragile, sensible, fugace et tenace en même temps, c’est aussi par cela que nous vivons et supportons l’adversité.

C’est pour cela que je me bats. Que nous nous battons. Que nous faisons ces métiers d’auteurs, de réalisateurs, de producteurs, de passeurs…Non ?

Dominique Crévecoeur https://www.unifrance.org/annuaires/personne/14414/dominique-crevecoeur