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LES LEÇONS DE « PLUS BELLE LA VIE »

Les rumeurs, non confirmées, d’arrêt prochain de la diffuion par France 3 de son feuilleton quotidien « Plus Belle la vie », sont une occasion de se pencher sur les faiblesses de l’audiovisuel français et d’en tirer les leçons.

Quand ce programme  est lancé en 2006 la télévision française ne diffuse aucun feuilleton (« soap ») quotidien, alors que chacune des grandes chaînes des grands pays (USA, Royaume-Uni, Allemagne, Italie, etc..) en diffuse un. Soit trois à quatre feuilletons par pays, chacun étant l’un des programmes à plus forte audience de sa chaîne. Or le feuilleton, avec des personnages et des histoires auxquels le public s’attache a toujours été un des genres à succès de la littérature et les auteurs français y excellaient.

Son  producteur privé est Telfrance, qui avait déjà produit pour France 2 le sitcom, « Maguy ». Mais cette adaptation du sitcom américain « Maud » était du théâtre filmé. Un feuilleton suit plusieurs aventures parallèles ou entrecroisées dans plusieurs décors, avec du suspense et des rebondissements. Et il a un lien avec l’actualité. Alexandre Dumas ou Balzac y excellaient.

Donc, France 3 s’y lance. Le tournage s’effectue à Marseille où sont créés à cet effet les studios de La Belle de Mai, formés des techniciens et recrutés des comédiens. Soit environ 200 emplois permanents, qui génèrent 1000 emplois indirects. Les studios sont évidemment indispensables car, pour livrer un épisode de 26 minutes chaque jour de la semaine, il faut des décors récurrents et pouvoir tourner plusieurs scènes simultanément.

La série est diffusée en access prime time. Et, au début, l’audience s’effondre,  comme nos auteurs n’ont aucune expérience le programme est très mauvais. Mais Mais Remy Pflimlin, le directeur général de France 3, et Marc Tessier le président de France télévisions ne baissent pas les bras. Car leur producteur suit la méthode utilisée dans tous les autres pays :  le lendemain de la diffusion de chaque épisode les réactions d’un panel du public sont recueillies et envoyées à l’équipe des auteurs. Celle-ci va en tenir compte et modifier ou supprimer des personnages, développer ou supprimer certains sujets. Et, au bout de quelques semaines l’audience va commencer à monter. Au point qu’avec une audience qui dépassera largement les 6,8 millions de spectateurs, le programme va devenir le champion de la chaîne. En outre, l’un des avantages des feuilletons est qu’ils s’exportent et génèrent nombre de produits dérivés. Enfin, pour la ville et la région, outre les emplois, c’est un outil de promotion.

Normalement TF1 aurait dû se lancer à son tour dans cette voie qui est celle de la plupart des grandes chaînes du monde. Mais il faudra attendre…. 11 ans pour que la chaîne privée lance son propre feuilleton quotidien, « Demain nous appartient », produit par Telfrance qui, entre-temps a été racheté par la chaîne. Il sera fabriqué à Sète, en grande partie dans des studios créés à cette effet. Bien évidemment ce sera un succès.

Mais, plus incroyable encore, ce n’est qu’en 2018, soit 12 ans plus tard, que France 2, qui appartient au même groupe que France 3, lancera son propre feuilleton, « Un si grand soleil ». Là encore un succès.

A noter qu’en 2020, TF1, sans doute au vu du succès de « Demain nous appartient » », lancera un nouveau feuilleton, « Ici tout va bien ».

De cet exemple on peut tirer plusieurs leçons. En premier lieu, que dans un univers audiovisuel qui explose et où les bouleversements s’accélèrent, nos diffuseurs, comme nos producteurs, devraient investirent beaucoup plus pour suivre les succès et les innovations partout dans le monde.

En second lieu, comme cela a été le cas avec les feuilletons, le secteur audiovisuel offre d’énormes potentiels de création d’emploi. Or, il faut savoir que le plan à long terme de la France, celui dont est en charge Monsieur Bayrou, n’en tient absolument pas compte. Les professionnels du secteur doivent se mobiliser pour que cela change. Et ils ont du poids.

D’autant plus que, lorsqu’il est venu à Marseille en septembre dernier, le président de la République a suggéré aux édiles locaux de créer de grands studios de tournage, sources d’emplois. Il s’appuyait sur une étude commandée par Film France et publiée en 2019, « Les studios de tournage, enjeu de la production », qui démontrait que le développement de notre production dépendait largement de l’existence de grands studios. https://www.cnc.fr/professionnels/etudes-et-rapports/rapport/les-studios-de-tournage-un-enjeu-primordial-pour-la-production-en-france_990068

Or, la ville étudie désormais  un projet de 50 hectares dans ce sens qui s’ajouterait au grand projet de l’Essonne.

En fait, et c’est la troisième leçon  : ce sont désormais les villes et les régions qui sont les plus à même d’être moteurs dans ce domaine.