Partager l'article

L'édito de Serge
Serge Siritzki

CASTEX SOUTIENT LE CINÉMA ET LA CULTURE

Par Serge Siritzky

Il y a les fonds de l’Etat mais aussi l’enjeu de la réglementation des GAFA

C’est le Premier ministre en personne, Jean Castex, qui a inauguré le Festival du film francophone d’Angoulême, vendredi dernier. Accompagné bien sûr  de la ministre de la Culture Roselyne Bachelot. Mais la présence de cette dernière est évidemment plus habituelle. Le Premier ministre reconnaît ainsi l’importance  des Festivals dans la vie de la culture et de l’économie. Et celle de la culture, à la fois dans l’activité économique du pays et comme lien social entre ses citoyens. Il a en outre profité de ce déplacement pour confirmer le doublement du budget de la Culture, à 2 milliards €, dans le cadre du plan de relance.

https://www.lefigaro.fr/cinema/au-festival-du-film-d-angouleme-jean-castex-veut-redonner-des-couleurs-au-cinema-francais-20200828

L’aide de l’Etat au CNC

Pour ce qui est du cinéma, le trou de 60 millions € dans le compte de soutien du CNC, dû aux prélèvements antérieurs successifs de l’Etat sur sa trésorerie sera comblé par le Trésor. Vont s’y ajouter 105 millions € qui permettront peut-être, de prolonger l’augmentation des taux de soutien à l’exploitation, à la distribution et à la production bien au-delà du 31 août. Enfin 100 millions € sont provisionnés pour le soutien à la relance de l’activité, ce qui répondra sans doute en partie aux demandes de la FNCF/

 Ces mesures s’ajoutent à celles qui ont été prises pour les intermittents ainsi qu’ au chômage partiel dont bénéficient tous les secteurs. La stratégie globale de l’Etat est d’éviter que l’économie ne s’effondre, quitte à creuser sa dette à des niveaux astronomiques. On verra plus tard, sans doute après la présidentielle, comment traiter celle-ci.

Application de la directive SMA

Le Premier ministre a rappelé que, conformément à la directive SMA, le 1er janvier,  les GAFA allaient contribuer largement au financement du cinéma et de l’audiovisuel français. En alimentant, plus largement qu’actuellement, le compte de soutien et en respectant des obligations d’investissement dans les films de cinéma et les œuvres audiovisuelles.

C’est une chance pour ces deux secteurs d’intéresser des activités qui, elles, sont en pleine croissance, une croissance accélérée par le confinement et la crise sanitaire. Mais la DGMIC, qui doit les insérer dans le nouveau modèle économique du cinéma et de l’audiovisuel français, n’a pas la tache facile. C’est d’ailleurs pourquoi les professionnels lui ont abandonné volontiers ce rôle plutôt que de négocier directement des accords avec les GAFA.

La profession s’attend à une obligation d’investissement de 20 à 25% de leur chiffre d’affaires. Le Premier ministre n’a pas démenti un tel chiffre. A titre de comparaison Canal+ doit investir 12,5% dans le cinéma et 3,6% dans les œuvres audiovisuelles, soit 16,1%. Les chaînes hertziennes en sont à 15% dans l’audiovisuel et 3,2 ou 3,5% dans le cinéma.  

Mais, deux questions délicates se posent. En premier lieu, quelle répartition imposer aux GAFA entre le cinéma et l’audiovisuel ? Il paraît difficile d’imposer automatiquement les mêmes taux à des plates-formes qui auront forcément des politiques éditoriales différentes.  En outre, dans le cas où l’ont imposerait un taux global, cumulant les deux investissements, le cinéma s’y opposera à juste titre, car, pour les plates-formes, le film n’est qu’un programme pour faire le buzz, donc très limité.

En second lieu, Amazon ne manquera pas de faire remarquer qu’Amazon prime, dont l’abonnement annuel est de 50€, permet de regarder films et séries, mais ouvre droit à bien d’autres services. Son chiffre d’affaires  ne peut donc saisir d’assiette au calcul des obligations d’investissement sans un fort abattement. Mais on peut lui répondre que les films et les œuvres audiovisuelles étant des produits d’appel pour ces autres services, c’est la totalité du chiffre d’affaires qui doit bien être prise en compte. 

La contribution des plates-formes au compte de soutien devrait passer de 2 à 5,5%. Mais leur taux de TVA devrait alors chuter de 20 à 10%.  Sinon, comme le notait Pascal Rogard, le président Trump va, à juste titre, se fâcher. Mais, dans ce cas, les plates-formes vont gagner 4,5%. https://siritz.com/le-carrefour/netflix-a-toujours-ete-dune-correction-parfaite/

En tout cas, en France, un film de cinéma doit d’abord être diffusé en salles. Ainsi, les films que Netflix et Amazon Prime ont achetés avant qu’ils ne sortent en salle, ne sont pas des films de cinéma et n’entreront pas comme tels dans leurs investissements. Se pose alors la question de la chronologie des médias.

Aujourd’hui, faute d’un accord avec les organisations professionnelles du cinéma avalisé par le CSA,  la fenêtre de la S-Vod se situe à 36 mois. Si elles respectaient des obligations d’investissement, il serait difficile de les faire passer après les chaînes en clair. Elles demandent évidemment à passer, au moins en même temps que Canal+, qui est actuellement à 8 mois et 6 mois pour les films réunissant moins de 100 000 spectateurs. Mais elles n’accepteront jamais de consacrer, comme la chaîne française, 12,5% de leur chiffre d’affaires au préfinancement de films français sortant en salle. Ce qui justifierait qu’elles passent après.

Le taux de TVA, outil de négociation

Le fait que leur TVA pourrait passer à 10% devrait en tout cas fournir à l’Etat un argument de poids dans la négociation.

De toute façon, l’ensemble de la chronologie des médias devra sans doute être revu. Actuellement le DVD et la VoD sont à 4 mois après la sortie en salle, avec des dérogations à 3 mois. Or, il n’y a qu’une poignée de films chaque année qui sont encore à l’affiche au bout de 8 semaines. Ces fenêtres françaises, qui sont plus longues qu’ailleurs, expliquent que, chez nous, le chiffre d’affaires du DVD ou de la VoD soit marginal par rapport à nos voisins. Ce secteur demande, sans succès, que la fenêtre soit ramenée à 2 mois, ce qui lui permettrait de bénéficier du lancement salle. Quitte à partager une petite partie des frais de promotion. Les exploitants sont opposés à cette modification car ils estiment que si, un film sort en numérique juste après l’arrêt de son exploitation en salle, le spectateur « ressentira » que les deux exploitations se chevauchent.

Mais, depuis quelques semaines, un événement bouleverse la situation. AMC, le premier exploitant des Etats-Unis et d’Europe, qui est d’ailleurs en situation financière difficile,  a finalement accepté le principe de la proposition d’Universal : pour certains films, le sortir en VoD Premium (à un prix double de celui du prix d’un billet de cinéma) 17 jours après la sortie en salle. Et l’exploitant (ou les exploitants ?) se partage la recette VoD avec le distributeur. Or, rappelons qu’en VoD la marge du distributeur est de 70% et non de 50% comme dans la salle.

Et, à peine AMC avait-il donné son accord à Universal que Disney a décidé de ne pas sortir son blockbuster Mullan dans de nombreux territoires où, pourtant, les salles sont ouvertes, et de la proposer directement en VoD premium aux abonnés de Disney +.

Le numérique et la crise sanitaire sont donc en train de bouleverser l’économie du secteur. La réglementation que la DGMIC va élaborer devra en tenir compte. Et, comme le notait Marc Tessier, il sera difficile de faire comme si nous étions une île à l’écart et à l’abri de ces bouleversements qui nous entourent. https://siritz.com/le-carrefour/marc-tessier-sur-les-bouleversements-actuels/

Lire aussi sur ces questions essentielles le très intéressant interview d’Alain Le Diberder https://siritz.com/le-carrefour/la-directive-sma-ouvre-la-boite-de-pandore/

© Copyright - Blog Siritz